« Je ne boirai plus jamais une goutte ! ». Cette promesse qu’on s’est tous faite un lendemain de beuverie, alors que le monde n’a pas arrêté de se foutre de nous toute la nuit, allant et venant là où il veut mais jamais sous notre corps, nous offrant le faible espoir que laisser la lumière allumée ou respirer par la bouche nous aidera à stopper cette pauvre connasse de planète alors qu’il n’y a plus d’ambiance de soirée pour apprécier son spectacle hallucinogène. « Je ne boirai plus jamais une goutte ! », c’est ce serment vide par excellence qui nous rappelle à chaque fois l’absurdité des résolutions qu’on se jure de respecter à la va-vite, pris dans l’élan du premier de l’an ou dans la peur de passer pour un gros thon sur la plage dans quelques mois. Comme quoi, il n’y a que la peur qui motive, mais que l’esprit est suffisamment bien fait pour oublier les petits traumatismes quotidiens et nous laisser réitérer nos erreurs à chaque occasion que l’on a de prouver que nous sommes cousins des poissons rouges.
Oui, je suis d’humeur poète. Monsieur Toussaint Louverture se met à publier des BD. Joie et liesse.
Oui, je suis d’humeur poète. Monsieur Toussaint Louverture se met à publier des BD. Joie et liesse.
Depuis pas mal de mois, je suis tout fébrile à l’idée de la publication d’Alcoolique. Je l’ai dit pour Demande, et tu recevras, j’en ai parlé sur la page Facebook, vous commencez à être au courant… j’adore Monsieur Toussaint Louverture, bon sang. Tout est bon dans son catalogue, et l’annonce de la BD m’a fait bégayer de bonheur. Mais revenons à l’histoire, d’abord. Alcoolique est une autobiographie fictive – ou une fiction biographique, une autofiction, comme vous voulez – de Jonathan Ames, un scénariste et romancier américain. Le jeune Jonathan A. découvre l’alcool à l’adolescence, comme tout le monde. Et comme tout le monde, il trouve que l’alcool est une formidable potion qui rend beau, attrayant, cool aux yeux des autres, tout simplement. Il ne tient pas l’alcool mais qu’importe, les gueules de bois ne sont qu’un mal pour un bien. Plus tard, Jonathan atterrit à Yale, paye ses études en devenant taxi, et commence à écrire en parallèle. Là encore, l’alcool l’accompagne, que ce soit pour ressembler à Hemingway, son modèle, pour continuer d’être quelqu’un d’autre en soirée, ou pour oublier son identité sexuelle tout à fait floue qu’il supporte assez mal. Il devient écrivain, rencontre l’amour de sa vie qui le laissera tomber, il développe une obsession destructrice pour elle, mais l’alcool est là, encore, pour l’aider. Il essaiera bien de se désintoxiquer de lui-même à plusieurs reprises, puisque ses appels à l’aide ne tombent dans l’oreille de personne. Mais il continue, parce qu’il ne sait faire que ça, parce qu’il n’a plus que ça à ses yeux, au fur et à mesure de sa vie.
Quelle est la part de réalité, quelle est la part d’invention, dur à dire avec Ames, qui a l’habitude d’être toujours le personnage principal de ses écrits, aussi variés soient-ils. À mon humble avis, même en lisant des choses sur l’alcoolisme ou en recueillant des témoignages, il est difficile de rendre aussi bien le quotidien et les cas de conscience d’une personne atteinte par cette maladie. Soit Ames possède un talent énorme pour restituer de la sorte le résultat de recherches sur l’alcoolisme, soit il est ou a vraiment été alcoolique à un moment de sa vie. Ce qui semblerait être la meilleure option au vu de l’histoire de la série Bored to Death crée par Ames, ou tout simplement quand on regarde certaines photos de lui sur Google. Encore une fois, dur à dire. Mais le résultat est là, cet album est une véritable plongée dans les méandres de l’alcool maladif et dévastateur.
Je n’oublie pas la part du dessin de Dean Haspiel mais, pour être honnête, le trait est typique de la bande dessinée indé américaine d’aujourd’hui et ne va pas révolutionner les codes du roman graphique. Même s’il faut reconnaître qu’un sentiment de malaise se dégage de certaines planches, certaines expressions de visage et le choix du noir et blanc. Il faut noter cependant le remarquable travail de narration et de composition des planches, où la plus grande part des cases se répond avec une fluidité impeccable. Encore une fois, difficile de dire si tout ça résulte de l’expérience du dessinateur ou des story-boards du scénariste. Le mieux reste encore de prendre Alcoolique pour ce qu’il est, un album superbement bien foutu qui prend aux tripes.
Parce qu'au fond, il n'y a pas que l'alcoolisme qui frappe de plein fouet la vie de Jonathan. Il est le fil conducteur, il est sous-jacent et on y revient toujours, mais c'est surtout le fait que Jonathan est absolument incapable d'être heureux qui nous surprend. Pas moyen, vraiment. Il perd sa mère, il perd l'amour de sa vie, il est obsédé par elle, il devient toxico et chope la chiasse, il perd ses cheveux, tout ça est très clair, il s'en souvient bien. Mais des moments joyeux ? Il y a bien une fille à Paris, avec qui tout semblait facile et léger, qui laisse entrevoir un espoir, mais bon, c'est de Jonathan dont on parle. Il est avec elle parce que la vie les a réunis aléatoirement, cela ne veut pas dire qu'il a envie d'être là avec elle, ou qu'il apprécie. Les moments heureux de sa vie ne sont que des parenthèses qu'il s'empresse de ruiner par des déluges de complications plus ou moins vicieuses. Okay, il y a l'alcool, ça le rend incapable d'agir de manière réfléchie pour se consacrer à son bonheur. Ouais, bien sûr, arrêter faciliterait les choses. Mais ce n'est jamais aussi simple. Ce n'est jamais simple avec Jonathan. Tous les moyens sont bons pour s'enfoncer encore plus dans les abysses de son existence pourrie.
Alcoolique, c'est donc tout ça. Une plongée en enfer monumentale comme on en lit peu ou, du moins, pas autant de l'intérieur. Ce qui me fait tout de suite penser à une autre publication chez Monsieur Toussaint Louverture, Le Dernier stade de la soif de Frederick Exley, absolument implacable autant que magnifique dans cette thématique de chute libre d'un être humain. La comparaison peut être hasardeuse sur pas mal de plans, mais l'idée est là. Je vous invite d'ailleurs à vous jeter sur ce roman, paru en poche depuis chez 10-18 avec une couverture toute moche. N’enquillez pas les deux cependant, faites une pause Bisounours ou Gilles Legardinier (pléonasme) simplement pour apprécier ces excellents bouquins qui méritent le coup d’œil. Quand aux adeptes de la lecture en terrasse, une bière à la main… Tentez le coup, mais je vous préviens : si votre verre n’est pas tout à fait vide après avoir fini cet album, vous risquerez fort de trouver l’envie de le renverser. Alors pensez à vos voisins pour éviter le gaspillage. Quand même.
Alcoolique, Jonathan Ames & Dean Haspiel. Monsieur Toussaint Louverture, septembre 2015. 144 p, 22 €
Sur le site de l’éditeur
Je n’oublie pas la part du dessin de Dean Haspiel mais, pour être honnête, le trait est typique de la bande dessinée indé américaine d’aujourd’hui et ne va pas révolutionner les codes du roman graphique. Même s’il faut reconnaître qu’un sentiment de malaise se dégage de certaines planches, certaines expressions de visage et le choix du noir et blanc. Il faut noter cependant le remarquable travail de narration et de composition des planches, où la plus grande part des cases se répond avec une fluidité impeccable. Encore une fois, difficile de dire si tout ça résulte de l’expérience du dessinateur ou des story-boards du scénariste. Le mieux reste encore de prendre Alcoolique pour ce qu’il est, un album superbement bien foutu qui prend aux tripes.
Parce qu'au fond, il n'y a pas que l'alcoolisme qui frappe de plein fouet la vie de Jonathan. Il est le fil conducteur, il est sous-jacent et on y revient toujours, mais c'est surtout le fait que Jonathan est absolument incapable d'être heureux qui nous surprend. Pas moyen, vraiment. Il perd sa mère, il perd l'amour de sa vie, il est obsédé par elle, il devient toxico et chope la chiasse, il perd ses cheveux, tout ça est très clair, il s'en souvient bien. Mais des moments joyeux ? Il y a bien une fille à Paris, avec qui tout semblait facile et léger, qui laisse entrevoir un espoir, mais bon, c'est de Jonathan dont on parle. Il est avec elle parce que la vie les a réunis aléatoirement, cela ne veut pas dire qu'il a envie d'être là avec elle, ou qu'il apprécie. Les moments heureux de sa vie ne sont que des parenthèses qu'il s'empresse de ruiner par des déluges de complications plus ou moins vicieuses. Okay, il y a l'alcool, ça le rend incapable d'agir de manière réfléchie pour se consacrer à son bonheur. Ouais, bien sûr, arrêter faciliterait les choses. Mais ce n'est jamais aussi simple. Ce n'est jamais simple avec Jonathan. Tous les moyens sont bons pour s'enfoncer encore plus dans les abysses de son existence pourrie.
Alcoolique, c'est donc tout ça. Une plongée en enfer monumentale comme on en lit peu ou, du moins, pas autant de l'intérieur. Ce qui me fait tout de suite penser à une autre publication chez Monsieur Toussaint Louverture, Le Dernier stade de la soif de Frederick Exley, absolument implacable autant que magnifique dans cette thématique de chute libre d'un être humain. La comparaison peut être hasardeuse sur pas mal de plans, mais l'idée est là. Je vous invite d'ailleurs à vous jeter sur ce roman, paru en poche depuis chez 10-18 avec une couverture toute moche. N’enquillez pas les deux cependant, faites une pause Bisounours ou Gilles Legardinier (pléonasme) simplement pour apprécier ces excellents bouquins qui méritent le coup d’œil. Quand aux adeptes de la lecture en terrasse, une bière à la main… Tentez le coup, mais je vous préviens : si votre verre n’est pas tout à fait vide après avoir fini cet album, vous risquerez fort de trouver l’envie de le renverser. Alors pensez à vos voisins pour éviter le gaspillage. Quand même.
Alcoolique, Jonathan Ames & Dean Haspiel. Monsieur Toussaint Louverture, septembre 2015. 144 p, 22 €
Sur le site de l’éditeur