Il ne faut pas croire, les vieux étaient jeunes, avant. Non, je dis ça parce qu’on a tendance à l’oublier quand on les voit décrépits, se traînant lentement sur leurs cannes et beuglant à qui leur prête une oreille pourtant saine qu’ils aimeraient bien renvoyer dehors tous ces immigrés, parce que leur voisine s’est fait voler sa poubelle et qu’ils sont certainement responsables du mariage entre pédés. Ils ne sont pas nés avec des charentaises aux pieds et certains de nos vieux d’aujourd’hui étaient les premiers punks d’hier. Incroyable mais c’est le cas. Cela dit, je reconnais qu’une sacrée part reste quand même un pur produit d’une éducation puritaine révolue, nourrie à l’eau bénite et à la virginité pré-maritale. Dans notre imaginaire, les vieux ont quand même une image sacrément teintée d’ennui. L’exact contraire du fun. Et c’est pour ça qu’on adore en rire, en fait ! C’est comme de s’imaginer un métalleux en tutu ou un prêtre nudiste, les contraires nous font marrer. Vous verrez en tombant sur n’importe quel fait divers mettant en scène un papy revanchard. Alors imaginez mon excitation lorsque j’ai découvert le résumé d’Aphrodite et vieilles dentelles !
C’est l’histoire de Tilda et Elida, deux sœurs suédoises. Deux vieilles filles, très vieilles filles, vivant toujours ensemble dans la maison de leurs parents à presque quatre-vingts ans. Comme toutes les vieilles, leur emploi du temps est millimétré par leurs habitudes, et sont extrêmement incommodées quand elles en changent. C’est ce qui va se produire à l’arrivée de leur nouveau voisin, le "directeur de bureau Klemens", venu de la ville pour acheter la maison à côté de la leur. Si les deux sœurs voient d’un très mauvais œil cette intrusion, elles ne vont pas tarder à s’y faire, d’autant que le directeur de bureau Klemens est très chaleureux avec elles et, il faut le dire, les chamboule un peu. Et il n’y a pas qu’elles. Lorsque des animaux viennent manger l’engrais dans les plantes du directeur de bureau, ils se trouvent immédiatement pris d’une excitation sexuelle immense et forniquent avec la première femelle venue ! De quoi faire monter le rouge aux joues des deux septuagénaires qui n’ont jamais vu le loup. Pourtant, ce sera là le point de départ d’une idée qui va changer leurs vies. Elles ont besoin de W.C. à l’intérieur de leur maison, le confort moderne et même un nouveau toit. Il leur faut de l’argent, donc. C’est pourquoi Elida et Tilda vont se lancer dans la vente par correspondance d’une potion aphrodisiaque, conditionnée dans des bocaux de confiture. Et pendant ce temps, leur frère qui met son mariage en danger à cause de son impuissance tombe sur l’annonce…
Eh oui, vous comprenez pourquoi on ne peut décemment pas passer à côté d'un roman pareil. On sait d’office que ça ne peut être qu'hilarant et on s'en rend compte rapidement. Le fait est qu'en plus d'être des petites vieilles réfractaires à la technologie – elles sont très attachées à leurs toilettes à l'extérieur, même si ça file des hémorroïdes à Tilda –, elles sont surtout vierges à quatre-vingts balais. Et là-dessus, Holmqvist ne les rate pas. Le principal ressort comique, c'est leur candeur, rajoutée à leur âge. Voir des animaux copuler, il n'y a rien de pire pour les mettre dans tous leurs états, rouge pivoine et il faut vite rentrer. La masturbation, elles avaient bien essayé étant jeunes mais elles ne pouvaient pas regarder Jésus en face à la messe, alors elles ont très vite arrêté, avant de tout simplement perdre l'envie. Et leur candeur va bien au-delà du sexe ! S'il faut acheter de l'alcool à l'épicerie pour la recette de leur aphrodisiaque, c'est la catastrophe absolue, la honte intégrale : personne ne doit les voir acheter ça, qu'est-ce que les gens vont penser ? Leur mode de vie est basé là-dessus, sur leur naïveté et leur ignorance du monde. Des petites vieilles tellement enracinées dans leur maison que le monde finit par ne plus être qu'un machin flou dont elles ont des nouvelles par le facteur. Alors vendre du viagra maison par correspondance après avoir ouvert une boîte postale à un faux nom, vous pensez.
Finalement, si tout est aussi crédible pour nous faire rire à ce point, c'est grâce au style si particulier. Particulier parce qu'il n'a rien d'extraordinaire, le plus simple possible et épuré sauf que la grosse majorité du lexique est complètement désuet. Hors du temps comme c'est pas permis. On parle sans arrêt de ce qui constitue leur "trousseau", par exemple. Ou une blinde d'autres mots qui, mis ensemble, suffisent à créer une ambiance. "Courtepointe", "café-goutte", "souliers", "spiritueux", etc. L'image mentale se construit d'elle-même. Ça, d'une part, et puis la description vide à mourir du quotidien. Comme je le disais, leurs journées se déroulent sur la même succession de petites habitudes qui remplacent peut à peu la profondeur des échanges entre elles. Quitte à répéter les mêmes phrases tous les jours, mais ça les rassure. Leurs fous rires découlent de situations ridicules qui ne méritent pas autant de démonstration. Ça les fait rire parce que c'est la seule chose un petit peu cocasse qui se produit. Elles sont vachement émouvantes quand elles se réjouissent de suçoter leurs biscottes trempées avec leurs gencives nues. C'est ça finalement, elles sont touchantes. L'émotion passe à travers tout un style à la fois vieillot, sommaire et pourtant lourd d'empathie. Ce livre est un vrai régal pour ça. Et bon sang, ça change de ce qu'on peut lire d'habitude.
Pour résumer, Aphrodite et vieilles dentelles est ce genre de livre : celui qu’on lit entre deux pavés un peu trop lourds moralement, qui redonne goût à la lecture tout en offrant une pause un peu légère, quelques rires cruels à propos de deux vieilles filles perdues. Un bouquin léger et bien fait, bon sang, que demander de plus ? Alors par pitié, si vous voulez lire vous-même ou offrir une lecture détente et pas casse tête pour votre mère en partant à la plage, ne vous jetez pas sur le nouveau bouzin du moment – oué mé c facil a lir lol – quand des romans comme celui-ci existent. Ils sont rares, mais ils existent et je suis sûr que vous pouvez amplement lire un livre de ce genre par semaine pendant toute votre vie sans jamais avoir à vous taper une merde, alors pour un été seulement, ça ne devrait pas trop poser de problème ! Vous n’aurez aucune excuse, je vous préviens.
Aphrodite et vieilles dentelles, Karin Brunk Holmqvist. Mirobole, mai 2016. 256 p, 16.50 €.
Sur le site de l’éditeur
C’est l’histoire de Tilda et Elida, deux sœurs suédoises. Deux vieilles filles, très vieilles filles, vivant toujours ensemble dans la maison de leurs parents à presque quatre-vingts ans. Comme toutes les vieilles, leur emploi du temps est millimétré par leurs habitudes, et sont extrêmement incommodées quand elles en changent. C’est ce qui va se produire à l’arrivée de leur nouveau voisin, le "directeur de bureau Klemens", venu de la ville pour acheter la maison à côté de la leur. Si les deux sœurs voient d’un très mauvais œil cette intrusion, elles ne vont pas tarder à s’y faire, d’autant que le directeur de bureau Klemens est très chaleureux avec elles et, il faut le dire, les chamboule un peu. Et il n’y a pas qu’elles. Lorsque des animaux viennent manger l’engrais dans les plantes du directeur de bureau, ils se trouvent immédiatement pris d’une excitation sexuelle immense et forniquent avec la première femelle venue ! De quoi faire monter le rouge aux joues des deux septuagénaires qui n’ont jamais vu le loup. Pourtant, ce sera là le point de départ d’une idée qui va changer leurs vies. Elles ont besoin de W.C. à l’intérieur de leur maison, le confort moderne et même un nouveau toit. Il leur faut de l’argent, donc. C’est pourquoi Elida et Tilda vont se lancer dans la vente par correspondance d’une potion aphrodisiaque, conditionnée dans des bocaux de confiture. Et pendant ce temps, leur frère qui met son mariage en danger à cause de son impuissance tombe sur l’annonce…
Eh oui, vous comprenez pourquoi on ne peut décemment pas passer à côté d'un roman pareil. On sait d’office que ça ne peut être qu'hilarant et on s'en rend compte rapidement. Le fait est qu'en plus d'être des petites vieilles réfractaires à la technologie – elles sont très attachées à leurs toilettes à l'extérieur, même si ça file des hémorroïdes à Tilda –, elles sont surtout vierges à quatre-vingts balais. Et là-dessus, Holmqvist ne les rate pas. Le principal ressort comique, c'est leur candeur, rajoutée à leur âge. Voir des animaux copuler, il n'y a rien de pire pour les mettre dans tous leurs états, rouge pivoine et il faut vite rentrer. La masturbation, elles avaient bien essayé étant jeunes mais elles ne pouvaient pas regarder Jésus en face à la messe, alors elles ont très vite arrêté, avant de tout simplement perdre l'envie. Et leur candeur va bien au-delà du sexe ! S'il faut acheter de l'alcool à l'épicerie pour la recette de leur aphrodisiaque, c'est la catastrophe absolue, la honte intégrale : personne ne doit les voir acheter ça, qu'est-ce que les gens vont penser ? Leur mode de vie est basé là-dessus, sur leur naïveté et leur ignorance du monde. Des petites vieilles tellement enracinées dans leur maison que le monde finit par ne plus être qu'un machin flou dont elles ont des nouvelles par le facteur. Alors vendre du viagra maison par correspondance après avoir ouvert une boîte postale à un faux nom, vous pensez.
Finalement, si tout est aussi crédible pour nous faire rire à ce point, c'est grâce au style si particulier. Particulier parce qu'il n'a rien d'extraordinaire, le plus simple possible et épuré sauf que la grosse majorité du lexique est complètement désuet. Hors du temps comme c'est pas permis. On parle sans arrêt de ce qui constitue leur "trousseau", par exemple. Ou une blinde d'autres mots qui, mis ensemble, suffisent à créer une ambiance. "Courtepointe", "café-goutte", "souliers", "spiritueux", etc. L'image mentale se construit d'elle-même. Ça, d'une part, et puis la description vide à mourir du quotidien. Comme je le disais, leurs journées se déroulent sur la même succession de petites habitudes qui remplacent peut à peu la profondeur des échanges entre elles. Quitte à répéter les mêmes phrases tous les jours, mais ça les rassure. Leurs fous rires découlent de situations ridicules qui ne méritent pas autant de démonstration. Ça les fait rire parce que c'est la seule chose un petit peu cocasse qui se produit. Elles sont vachement émouvantes quand elles se réjouissent de suçoter leurs biscottes trempées avec leurs gencives nues. C'est ça finalement, elles sont touchantes. L'émotion passe à travers tout un style à la fois vieillot, sommaire et pourtant lourd d'empathie. Ce livre est un vrai régal pour ça. Et bon sang, ça change de ce qu'on peut lire d'habitude.
Pour résumer, Aphrodite et vieilles dentelles est ce genre de livre : celui qu’on lit entre deux pavés un peu trop lourds moralement, qui redonne goût à la lecture tout en offrant une pause un peu légère, quelques rires cruels à propos de deux vieilles filles perdues. Un bouquin léger et bien fait, bon sang, que demander de plus ? Alors par pitié, si vous voulez lire vous-même ou offrir une lecture détente et pas casse tête pour votre mère en partant à la plage, ne vous jetez pas sur le nouveau bouzin du moment – oué mé c facil a lir lol – quand des romans comme celui-ci existent. Ils sont rares, mais ils existent et je suis sûr que vous pouvez amplement lire un livre de ce genre par semaine pendant toute votre vie sans jamais avoir à vous taper une merde, alors pour un été seulement, ça ne devrait pas trop poser de problème ! Vous n’aurez aucune excuse, je vous préviens.
Aphrodite et vieilles dentelles, Karin Brunk Holmqvist. Mirobole, mai 2016. 256 p, 16.50 €.
Sur le site de l’éditeur