C'était mieux avant, non ? Enfin, je crois, c'est ce que racontent à tour de bras les gens qui ne se souviennent pas qu'il y a une trentaine d'années, Tchernobyl explosait en entraînant les conséquences qu'on sait, Challenger pétait aussi pour la science, des gens remplissaient leurs baignoires d'essence pour pallier la crise pétrolière, ça se butait à Tien'anmen, ça se butait à Hama, on venait seulement de piger l'ampleur du SIDA, le mur tenait bon et la radio française diffusait de la pop. Au pire, on peut considérer que les années 1980 ont été la dernière torture à subir et que tout va mieux depuis la chute du communisme. On peut dire ça pour rabattre le claque-merde des réacs, et leur parler des progrès phénoménaux de la médecine, de la science, des mœurs et de la technologie. De l'évolution exponentielle de tout ça. Pas besoin de faire dans la SF pour dire qu'on va vers un paradis technique voire social, et peu importe si certains préféraient quand le monde se tuait à l'amiante. Mieux avant, mon cul. Bon, plutôt que de tergiverser, et si on allait prendre la température du monde dans une nouvelle pépite de chez Mirobole ? Histoire de trancher ?
Avenue Nationale, c’est le titre de ce roman qui tabasse sérieusement. « Tabasser » est bien le mot qui vient inconsciemment quand on se rappelle que l’Avenue Nationale est aussi le nom de la principale avenue de Prague et le théâtre de nombreux combats du peuple tchèque pour la démocratie, dont la dernière en date lors de la Révolution de velours a amené à une répression violente par les forces de police. Mais passons. Ici, on écoute parler Vandam, son quasi-monologue déterminé livré à son fils pour lui apprendre la vie. Vandam sait ce qu’est la vie, il l’a appris bien trop souvent. Depuis, il s’entraîne. Tous les jours. Il faut être prêt. Il fait ses deux cent pompes par jour, apprend par cœur les récits des plus grandes guerres de l’Histoire et les vies des plus grands généraux, parce que la guerre viendra bien assez vite. Et il n’y a que lui pour sauver son peuple, lui le dernier des Romains – non, ce n’est pas un salut nazi, c’est un salut romain –, lui qui a donné le premier coup lors de la Révolution de velours, lui qui sait comment tuer un homme de ses propres mains. Il est le seul à savoir. Le seul à oser dire que le sang sauvera les peuples.
Ca semble évident en connaissant le pitch, et c’est bien le cas : entrer dans Avenue Nationale est une expérience à part entière. Comment pourrait-il en être autrement à la lecture du manifeste d’un extrémiste ordinaire ? Un type comme n’importe qui, peintre en bâtiment, fils d’une République Tchèque meurtrie et laissée pour compte. Simplement un homme qui boit normalement dans le bar où il a ses habitudes. Mais vouant un culte aux ancêtres, à la nature qui a vu périr avec honneur et bravoure tant de valeureux guerriers pour leur nation, des guerriers dont il est le dernier. La fascination peut être déjà morbide en soi, c’est surtout le salut romain qui-n’est-pas-nazi qui achève de faire froid dans le dos. Ça plus le fait qu’il explique, qu’il apprend à son fils à faire plus de pompes, devenir plus fort pour pouvoir frapper un homme et sentir sa puissance. Assister à cet apprentissage. Dans une langue aussi sèche et martelée, qui plus est.
Le sentiment qui s’en dégage est bien celui auquel on pouvait s’attendre, pas de surprise là-dessus. Ou peut-être que si, en fin de compte. Oui, on est aussi viscéralement marqué que devant un Taxi Driver, par exemple, oui, on est impuissant face à la montée inexorable d’une idéologie meurtrière. Sauf qu’en plus, l’humour parsemé de-ci de-là a l’effet plutôt pervers de rendre ça encore plus perturbant, plus… malsain. Banalisant encore plus le personnage, bien au-delà de ses origines modestes. Le malaise est là rapidement. Le pire viendra quand vous saurez que Vandam, bien que son nom ait été changé, est un personnage réel. Un homme que l’auteur a rencontré dans un bar et qui lui a servi le même discours. Le moment bizarre où un livre qui pourrait être vrai devient un livre qui est bel et bien vrai. Un roman sur les extrémistes ordinaires qui, sous des airs de racistes rigolos que « les noirs ne dérangent pas s’ils les laissent tranquilles », peuplent nos rues. Et inutile de se voiler la face en disant qu’il y en aura plus en République Tchèque ou dans d’autres pays de l’Est – un terrain historiquement et socialement fertile – plutôt qu’en France, parce que ce n’est pas le cas. Des Vandam, vous en croisez bien plus souvent que vous ne le pensez.
Avenue Nationale est décidément le genre de roman qu’on aime bien se prendre dans la gueule, qui fait trembler nos intestins. Celui qui procure un malaise évident tout en nous laissant dans l’incapacité de décrocher avant la fin. Et si bien écrit, je le rappelle. Impossible de dire si ça fait du bien ou pas. Et c’est justement pour ça qu’en définitive, c’est un putain de bon bouquin. Alors, on devait départager. C’était mieux avant ou ce sera mieux après ? À la lecture de ce roman, il devient évident que ça a toujours été et que ce sera toujours le même bordel, rien de plus.
Amis de l’optimisme, bonsoir.
Avenue Nationale, Jaroslav Rudiš. Mirobole, octobre 2016. 224 p. 19,50 €.
Sur le site de l’éditeur
Avenue Nationale, c’est le titre de ce roman qui tabasse sérieusement. « Tabasser » est bien le mot qui vient inconsciemment quand on se rappelle que l’Avenue Nationale est aussi le nom de la principale avenue de Prague et le théâtre de nombreux combats du peuple tchèque pour la démocratie, dont la dernière en date lors de la Révolution de velours a amené à une répression violente par les forces de police. Mais passons. Ici, on écoute parler Vandam, son quasi-monologue déterminé livré à son fils pour lui apprendre la vie. Vandam sait ce qu’est la vie, il l’a appris bien trop souvent. Depuis, il s’entraîne. Tous les jours. Il faut être prêt. Il fait ses deux cent pompes par jour, apprend par cœur les récits des plus grandes guerres de l’Histoire et les vies des plus grands généraux, parce que la guerre viendra bien assez vite. Et il n’y a que lui pour sauver son peuple, lui le dernier des Romains – non, ce n’est pas un salut nazi, c’est un salut romain –, lui qui a donné le premier coup lors de la Révolution de velours, lui qui sait comment tuer un homme de ses propres mains. Il est le seul à savoir. Le seul à oser dire que le sang sauvera les peuples.
Ca semble évident en connaissant le pitch, et c’est bien le cas : entrer dans Avenue Nationale est une expérience à part entière. Comment pourrait-il en être autrement à la lecture du manifeste d’un extrémiste ordinaire ? Un type comme n’importe qui, peintre en bâtiment, fils d’une République Tchèque meurtrie et laissée pour compte. Simplement un homme qui boit normalement dans le bar où il a ses habitudes. Mais vouant un culte aux ancêtres, à la nature qui a vu périr avec honneur et bravoure tant de valeureux guerriers pour leur nation, des guerriers dont il est le dernier. La fascination peut être déjà morbide en soi, c’est surtout le salut romain qui-n’est-pas-nazi qui achève de faire froid dans le dos. Ça plus le fait qu’il explique, qu’il apprend à son fils à faire plus de pompes, devenir plus fort pour pouvoir frapper un homme et sentir sa puissance. Assister à cet apprentissage. Dans une langue aussi sèche et martelée, qui plus est.
Le sentiment qui s’en dégage est bien celui auquel on pouvait s’attendre, pas de surprise là-dessus. Ou peut-être que si, en fin de compte. Oui, on est aussi viscéralement marqué que devant un Taxi Driver, par exemple, oui, on est impuissant face à la montée inexorable d’une idéologie meurtrière. Sauf qu’en plus, l’humour parsemé de-ci de-là a l’effet plutôt pervers de rendre ça encore plus perturbant, plus… malsain. Banalisant encore plus le personnage, bien au-delà de ses origines modestes. Le malaise est là rapidement. Le pire viendra quand vous saurez que Vandam, bien que son nom ait été changé, est un personnage réel. Un homme que l’auteur a rencontré dans un bar et qui lui a servi le même discours. Le moment bizarre où un livre qui pourrait être vrai devient un livre qui est bel et bien vrai. Un roman sur les extrémistes ordinaires qui, sous des airs de racistes rigolos que « les noirs ne dérangent pas s’ils les laissent tranquilles », peuplent nos rues. Et inutile de se voiler la face en disant qu’il y en aura plus en République Tchèque ou dans d’autres pays de l’Est – un terrain historiquement et socialement fertile – plutôt qu’en France, parce que ce n’est pas le cas. Des Vandam, vous en croisez bien plus souvent que vous ne le pensez.
Avenue Nationale est décidément le genre de roman qu’on aime bien se prendre dans la gueule, qui fait trembler nos intestins. Celui qui procure un malaise évident tout en nous laissant dans l’incapacité de décrocher avant la fin. Et si bien écrit, je le rappelle. Impossible de dire si ça fait du bien ou pas. Et c’est justement pour ça qu’en définitive, c’est un putain de bon bouquin. Alors, on devait départager. C’était mieux avant ou ce sera mieux après ? À la lecture de ce roman, il devient évident que ça a toujours été et que ce sera toujours le même bordel, rien de plus.
Amis de l’optimisme, bonsoir.
Avenue Nationale, Jaroslav Rudiš. Mirobole, octobre 2016. 224 p. 19,50 €.
Sur le site de l’éditeur