Si on envisage la vie comme une immense étendue de merde dans laquelle on est projeté dès le début et qu’il faut traverser sans trop se faire éclabousser et sans avoir recours à de quelconques accessoires, on arrive assez rapidement à distinguer plusieurs catégories de personnes. La plus courante est celle qui va se mettre à nager calmement en se disant que de toute façon, on en prendra bien dans la tronche un jour, et que le plus important est de garder la tête bien haute en prenant sa respiration. Elle peut être rapprochée de celle qui ne voit pas trop à quoi ça rime et qui se contente de faire la planche, sans but. Une autre va être constituée de ceux qui vont mettre leur instinct à exécution, un peu trop rapidement parfois, et qui vont partir du principe que, si on court suffisamment vite en claquant bien la plante des pieds, on s’éclaboussera pas mal mais on ne s’enfoncera pas beaucoup. En quelque sorte, on sera un peu mieux placé que les deux premières qu’on pourra regarder de haut. Et puis il y a la dernière catégorie, ceux qui sont assez malins pour étudier patiemment la topographie des lieux, et comprendre qu’il y a des rives que personne ne voit, où on peut rester au sec tant qu’on ne perd pas l’équilibre, et bon sang que j’aime ces types. Oh oui, que je les aime, bordel.
Non, je n’ai toujours pas expliqué pourquoi je parle de ça. Laissez-moi taper mon délire en paix, mécréants.
Aujourd’hui, on va parler du dernier roman de Paul Colize, cet auteur qu’on ne présente plus depuis un bout de temps alors qu’il a prouvé au public qu’en matière de récit, il a les ambitions aussi énormes que son imagination. Concerto pour quatre mains est un roman qu’on regrette d’avoir fini, je le dis d’emblée. Ça commence par trois récits croisés, dont on ne voit pas vraiment les connexions. D’un côté, le casse du siècle. Huit hommes cagoulés qui sortent de deux véhicules au pied d’un avion, alors que celui-ci s’apprête à recevoir une cargaison de la Brink’s. Ils menacent les convoyeurs et emportent tous les colis contenant 300 millions de dollars de diamants bruts en moins de trois minutes, sans aucun coup de feu. D’un autre côté, Jean Villemont, avocat belge chargé de défendre un homme qui refuse son aide, arrêté suite à un hold-up de bureau de poste vraiment très étrange. Enfin, Franck Jammet, son histoire, le récit de vie d’un immense génie du braquage ayant décidé de sa carrière le jour où, à onze ans, il manqua une opportunité de rafler un billet de 5 000 francs belges. De là, l’escalade du plus grand cerveau du crime organisé de tous les temps, toujours sans violence, simplement du braquage à haut risque orchestré d’une main de maître.
Et voilà bien les deux ressorts narratifs qui vont vous empêcher d’aller dormir dès lors que vous débuterez ce roman : la quête de vérité de Jean Villemont et le récit incroyablement palpitant de la vie de Jammet, ponctués de plans millimétrés pour dépouiller de plus en plus de monde, à des niveaux de plus en plus spectaculaires. Ce livre, Concerto pour quatre mains, est un putain de mode d’emploi pour braqueurs amateurs. Des années 1980-1990, attention. Non pas que tous les conseils soient réalisables aujourd’hui ou même fonctionnels pour l’époque, mais le sens du rythme et le style punchy de Colize nous feraient gober n’importe quoi. Si bien qu’au final, on aura eu l’impression de regarder Ocean’s Eleven au moins six ou sept fois d’affilée, en oubliant toujours tout entre deux visionnages. On dévore toutes ces préparations et exécutions de plans avec une jubilation extrême, d’autant plus soutenue quand on connaît le personnage et ses valeurs morales.
Alors oui, je donne sans doute l’impression de minimiser la part de Jean Villemont pour le moment, mais j’y viens. Si l’intérêt de la partie de Franck Jammet réside principalement dans son sens du spectaculaire, c’est aussi parce que Paul Colize nous en détache avec une narration à la troisième personne. Asseyez-vous et contemplez, gens normaux. Alors qu’au contraire, Jean Villemont est un homme parfaitement normal, pas même plus talentueux que la moyenne, dont la seule chose qu’il réussit à faire soit son travail, raison qui fait qu’il s’y implique autant. Obsédé par sa rupture, prêt à s’écraser pour vivre sa vie normalement tant qu’il le souhaite, amateur de club sandwichs dégueulasses parce que merde, peu importe de quoi il a l’air, à l’exception de son goût pour les chapeaux masquant sa calvitie. Et c’est cet homme normal que l’on va suivre en point de vue interne, pour lequel on se prend tout autant d’affection et qu’on aimerait voir vivre une vie ordinaire, parce qu’il le mérite. Parce qu’il en rêve.
Les rêves, c’est ça aussi qui fait la force de ce roman. Bien sûr, il faut des rebondissements, des échecs et des larmes, des déceptions entre deux triomphes. Mais au travers de tout ça se dégage un sentiment de liberté monstrueux, un positivisme à toute épreuve. Un vrai souffle, il n’y a pas d’autre mot. Entre autres, on trouve Jean Villemont qui veut sa vie d’avant et reconquérir son ex-femme, si possible. Et il y a surtout Franck Jammet, toujours lui, qui concocte tous ses plans magistraux avec minutie et élégance, en gardant en tête des rêves tout simples comme devenir un grand pianiste ou avoir une vie de famille posée. Dans les pires moments de sa vie, retrouver son fils, et donner tout son sens au titre de ce livre. Franck Jammet n’est pas seulement génial, il est aussi touchant pour ça. La fin de ce roman est mesurée, surprenante pour certains personnages et poignante pour d’autres, mais juste. L’art de Colize. Le roman à cent à l’heure maîtrisé jusqu’au point final.
J’aime beaucoup ce genre de roman, et j’en lis suffisamment peu pour apprécier ceux qui me passent entre les mains. Sous certains aspects, Concerto pour quatre mains m’a fait penser aux deux premiers romans d’Hervé Commère, J’attraperai ta mort et Des ronds dans l’eau que je vous conseille tout autant. Mais pour celui-ci, tout ce que je peux rajouter, c’est que le jour où je prévoirai de braquer un fourgon, une banque ou toute autre opération bien lucrative pour faire de moi un promeneur intelligent sur les rives du lac de merde, je choisirai Paul Colize pour faire équipe. S’il est possible de réaliser des coups aussi fructueux que ceux de Jammet, je suis prêt à faire 50-50 très volontiers. Paul Colize, si vous me lisez, je vous invite ici : contact.
Concerto pour quatre mains, Paul Colize. Fleuve éditions, octobre 2015. 480 p. 19,90 €
Sur le site de l'éditeur
Non, je n’ai toujours pas expliqué pourquoi je parle de ça. Laissez-moi taper mon délire en paix, mécréants.
Aujourd’hui, on va parler du dernier roman de Paul Colize, cet auteur qu’on ne présente plus depuis un bout de temps alors qu’il a prouvé au public qu’en matière de récit, il a les ambitions aussi énormes que son imagination. Concerto pour quatre mains est un roman qu’on regrette d’avoir fini, je le dis d’emblée. Ça commence par trois récits croisés, dont on ne voit pas vraiment les connexions. D’un côté, le casse du siècle. Huit hommes cagoulés qui sortent de deux véhicules au pied d’un avion, alors que celui-ci s’apprête à recevoir une cargaison de la Brink’s. Ils menacent les convoyeurs et emportent tous les colis contenant 300 millions de dollars de diamants bruts en moins de trois minutes, sans aucun coup de feu. D’un autre côté, Jean Villemont, avocat belge chargé de défendre un homme qui refuse son aide, arrêté suite à un hold-up de bureau de poste vraiment très étrange. Enfin, Franck Jammet, son histoire, le récit de vie d’un immense génie du braquage ayant décidé de sa carrière le jour où, à onze ans, il manqua une opportunité de rafler un billet de 5 000 francs belges. De là, l’escalade du plus grand cerveau du crime organisé de tous les temps, toujours sans violence, simplement du braquage à haut risque orchestré d’une main de maître.
Et voilà bien les deux ressorts narratifs qui vont vous empêcher d’aller dormir dès lors que vous débuterez ce roman : la quête de vérité de Jean Villemont et le récit incroyablement palpitant de la vie de Jammet, ponctués de plans millimétrés pour dépouiller de plus en plus de monde, à des niveaux de plus en plus spectaculaires. Ce livre, Concerto pour quatre mains, est un putain de mode d’emploi pour braqueurs amateurs. Des années 1980-1990, attention. Non pas que tous les conseils soient réalisables aujourd’hui ou même fonctionnels pour l’époque, mais le sens du rythme et le style punchy de Colize nous feraient gober n’importe quoi. Si bien qu’au final, on aura eu l’impression de regarder Ocean’s Eleven au moins six ou sept fois d’affilée, en oubliant toujours tout entre deux visionnages. On dévore toutes ces préparations et exécutions de plans avec une jubilation extrême, d’autant plus soutenue quand on connaît le personnage et ses valeurs morales.
Alors oui, je donne sans doute l’impression de minimiser la part de Jean Villemont pour le moment, mais j’y viens. Si l’intérêt de la partie de Franck Jammet réside principalement dans son sens du spectaculaire, c’est aussi parce que Paul Colize nous en détache avec une narration à la troisième personne. Asseyez-vous et contemplez, gens normaux. Alors qu’au contraire, Jean Villemont est un homme parfaitement normal, pas même plus talentueux que la moyenne, dont la seule chose qu’il réussit à faire soit son travail, raison qui fait qu’il s’y implique autant. Obsédé par sa rupture, prêt à s’écraser pour vivre sa vie normalement tant qu’il le souhaite, amateur de club sandwichs dégueulasses parce que merde, peu importe de quoi il a l’air, à l’exception de son goût pour les chapeaux masquant sa calvitie. Et c’est cet homme normal que l’on va suivre en point de vue interne, pour lequel on se prend tout autant d’affection et qu’on aimerait voir vivre une vie ordinaire, parce qu’il le mérite. Parce qu’il en rêve.
Les rêves, c’est ça aussi qui fait la force de ce roman. Bien sûr, il faut des rebondissements, des échecs et des larmes, des déceptions entre deux triomphes. Mais au travers de tout ça se dégage un sentiment de liberté monstrueux, un positivisme à toute épreuve. Un vrai souffle, il n’y a pas d’autre mot. Entre autres, on trouve Jean Villemont qui veut sa vie d’avant et reconquérir son ex-femme, si possible. Et il y a surtout Franck Jammet, toujours lui, qui concocte tous ses plans magistraux avec minutie et élégance, en gardant en tête des rêves tout simples comme devenir un grand pianiste ou avoir une vie de famille posée. Dans les pires moments de sa vie, retrouver son fils, et donner tout son sens au titre de ce livre. Franck Jammet n’est pas seulement génial, il est aussi touchant pour ça. La fin de ce roman est mesurée, surprenante pour certains personnages et poignante pour d’autres, mais juste. L’art de Colize. Le roman à cent à l’heure maîtrisé jusqu’au point final.
J’aime beaucoup ce genre de roman, et j’en lis suffisamment peu pour apprécier ceux qui me passent entre les mains. Sous certains aspects, Concerto pour quatre mains m’a fait penser aux deux premiers romans d’Hervé Commère, J’attraperai ta mort et Des ronds dans l’eau que je vous conseille tout autant. Mais pour celui-ci, tout ce que je peux rajouter, c’est que le jour où je prévoirai de braquer un fourgon, une banque ou toute autre opération bien lucrative pour faire de moi un promeneur intelligent sur les rives du lac de merde, je choisirai Paul Colize pour faire équipe. S’il est possible de réaliser des coups aussi fructueux que ceux de Jammet, je suis prêt à faire 50-50 très volontiers. Paul Colize, si vous me lisez, je vous invite ici : contact.
Concerto pour quatre mains, Paul Colize. Fleuve éditions, octobre 2015. 480 p. 19,90 €
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