Nous y sommes. Après une année aussi pourrie que celle qui vient de s'écouler, 2016 prend presque des airs de délivrance. Tellement même qu'on en viendrait à jouer au jeu des résolutions, comme une faveur concédée à une grande amie qui vient de nous sauver les miches. Alors, quoi de nouveau pour Mon Cul ? Moins d'emballement, moins de confiance aveugle envers quelques éditeurs ou auteurs ? Ouais, faisons ça. Un peu de sobriété et d'objectivité ne feront pas de mal. Aujourd'hui on va donc parler de Corrosion, petit nouveau chez... Neonoir. Ah oui, mais si les éditeurs font tout pour saborder mes résolutions, aussi...
Mais jusqu'où ira Gallmeister ? Plus je lis cette collection, et plus je me demande comment il est possible d'avoir une production éditoriale actuelle aussi inégale et daubée par moments quand il semblerait qu'une source inépuisable de textes méchamment bons ne soit pas encore traduite. Il devient même difficile de dire quel est le meilleur texte publié chez Neonoir tellement l'unité que dégage la collection repose sur des romans tous superbes, mais dans des styles tous différents. Il faut que ça continue. Ne pas atteindre le point où on aura l'impression de toujours lire la même chose, ou que tout le meilleur aura déjà été fait. Mais faisons confiance à Gallmeister pour ça. Leur publication de littérature générale prouve depuis longtemps qu'ils savent y faire.
Alors Corrosion, qu'est ce que c'est donc ? C'est un roman noir de toute beauté à base d'un machiavélisme sous-jacent et de psychologie malsaine. Un roman noir, quoi. Mais un super. Et si je tourne autour du pot, c'est que parler de ce roman est, une fois de plus, une épreuve de funambule, un tour d'équilibriste sur un fil tendu entre l'inintéressant pas accrocheur et le spoil monstrueux, voire puni par la loi. Commençons doucement. Vous suivez Joseph Downs, vétéran de la guerre en Irak revenu avec une gueule d'enfer au sens propre, le visage brûlé intégralement suite à une attaque à l'explosif artisanal. Pitié, dégoût, peur, le spectre des émotions qu'il provoque chez ses interlocuteurs est large, même s’ils essaient tous de les masquer par humanité. L'humanité, justement, il la fuit à bord de son pick-up en filant vers la Montagne, sauf qu'il tombe en rade. Il file boire une bière, pause oblige. Et c'est dans ce bar qu'il rencontre Lilith, une femme juste jolie mais même pas belle, qui se fait rosser par son mari. Downs n'aime pas ça et le fait payer à ce putain de redneck éleveur de porcs. Le héros sauve la fille des mains de son mari, sort avec elle, classique. Oui mais non. Cette rencontre scelle le destin de pas mal de gens, dont aucun n'a idée qu'il mourra bientôt. Et jamais personne ne comprendra ce qui est vraiment en train de se passer dans ce coin paumé des États Unis.
Oui, ça a l'air classique. Et franchement, on se laisse prendre au piège pendant une quarantaine de pages parce que l'écriture aride et crue de Bassoff suffit à elle seule pour qu'on se laisse emporter avec plaisir. On a déjà lu ça quelques fois mais bon, on s'en fout, c'est bien fait. Quand soudain, la claque. Le truc qui fait que ta lecture s'en trouve sacrément changée. Le doute d'abord, puis la compréhension que tout ça commence à prendre un virage qui va décidément envoyer du lourd. À partir de ce point, plus de repos possible. On passe son temps à se tortiller en sentant que ça va vraiment mal se finir. Les personnages torturés, les folies, les ambiances, tous les ingrédients qui font un roman noir sont maîtrisés avec brio pour faire de Corrosion bien plus qu'un simple roman noir comme on en lit tous les jours. Que dire, quand on ne peut rien dire ? Eh bien, si vous aimez les scenarii à base de misère humaine, de torture psychologique, d'ambiguïté, de surprises, de fatalité, d'Amérique profonde, de vendettas, de tout ça à la fois, eh bien, Corrosion vous fera les adorer encore plus.
Et ce style, bon sang, ce style ! Si la "claque littéraire" est une norme, alors ce roman est un passage à tabac littéraire, un enchaînement de gauches-droites dans la gueule à en cracher ses dents. Si l'on pressent l'horreur à venir tout du long, c'est en grande partie dû à la fatalité que dégage la patte de l'auteur. On sent véritablement une évolution dans les formulations de phrases, l'emploi à outrance du "et" dans les accumulations qui donnent le sentiment de lire en apnée, la folie d'une phrase d'une page comme un sanglot interminable, tout est là pour provoquer le malaise. Et il faut dire que c'est réussi. Tout ce qu'on y gagne, c'est un vide profond dont on doit sortir la tête quand on referme le livre après chaque chapitre. C'est ça, Corrosion, c'est un uppercut dans le bide qui te coupe le souffle.
L'envie d'être beaucoup plus explicite commence à se faire sentir alors je vais tâcher de m'arrêter là. Mais croyez-moi sur parole quand je dis qu'il faut le lire, que la surprise en vaut la chandelle, que c'est du génie, tout simplement. À tout les marginaux qui croiraient encore que le roman noir est mou, à toutes les vieilles peaux qui assimilent la littérature noire à du roman mal torché écrit pour distraire papy en salle d'attente du médecin, à tous les ex-fans de polar lassés de bouses conventionnelles à vomir, à vous, à tout le monde : Corrosion, c'est de la bonne. De la putain de bonne.
Corrosion, Jon Bassoff. Gallmeister, janvier 2016. 240 p. 17,20€
Sur le site de l'éditeur
Mais jusqu'où ira Gallmeister ? Plus je lis cette collection, et plus je me demande comment il est possible d'avoir une production éditoriale actuelle aussi inégale et daubée par moments quand il semblerait qu'une source inépuisable de textes méchamment bons ne soit pas encore traduite. Il devient même difficile de dire quel est le meilleur texte publié chez Neonoir tellement l'unité que dégage la collection repose sur des romans tous superbes, mais dans des styles tous différents. Il faut que ça continue. Ne pas atteindre le point où on aura l'impression de toujours lire la même chose, ou que tout le meilleur aura déjà été fait. Mais faisons confiance à Gallmeister pour ça. Leur publication de littérature générale prouve depuis longtemps qu'ils savent y faire.
Alors Corrosion, qu'est ce que c'est donc ? C'est un roman noir de toute beauté à base d'un machiavélisme sous-jacent et de psychologie malsaine. Un roman noir, quoi. Mais un super. Et si je tourne autour du pot, c'est que parler de ce roman est, une fois de plus, une épreuve de funambule, un tour d'équilibriste sur un fil tendu entre l'inintéressant pas accrocheur et le spoil monstrueux, voire puni par la loi. Commençons doucement. Vous suivez Joseph Downs, vétéran de la guerre en Irak revenu avec une gueule d'enfer au sens propre, le visage brûlé intégralement suite à une attaque à l'explosif artisanal. Pitié, dégoût, peur, le spectre des émotions qu'il provoque chez ses interlocuteurs est large, même s’ils essaient tous de les masquer par humanité. L'humanité, justement, il la fuit à bord de son pick-up en filant vers la Montagne, sauf qu'il tombe en rade. Il file boire une bière, pause oblige. Et c'est dans ce bar qu'il rencontre Lilith, une femme juste jolie mais même pas belle, qui se fait rosser par son mari. Downs n'aime pas ça et le fait payer à ce putain de redneck éleveur de porcs. Le héros sauve la fille des mains de son mari, sort avec elle, classique. Oui mais non. Cette rencontre scelle le destin de pas mal de gens, dont aucun n'a idée qu'il mourra bientôt. Et jamais personne ne comprendra ce qui est vraiment en train de se passer dans ce coin paumé des États Unis.
Oui, ça a l'air classique. Et franchement, on se laisse prendre au piège pendant une quarantaine de pages parce que l'écriture aride et crue de Bassoff suffit à elle seule pour qu'on se laisse emporter avec plaisir. On a déjà lu ça quelques fois mais bon, on s'en fout, c'est bien fait. Quand soudain, la claque. Le truc qui fait que ta lecture s'en trouve sacrément changée. Le doute d'abord, puis la compréhension que tout ça commence à prendre un virage qui va décidément envoyer du lourd. À partir de ce point, plus de repos possible. On passe son temps à se tortiller en sentant que ça va vraiment mal se finir. Les personnages torturés, les folies, les ambiances, tous les ingrédients qui font un roman noir sont maîtrisés avec brio pour faire de Corrosion bien plus qu'un simple roman noir comme on en lit tous les jours. Que dire, quand on ne peut rien dire ? Eh bien, si vous aimez les scenarii à base de misère humaine, de torture psychologique, d'ambiguïté, de surprises, de fatalité, d'Amérique profonde, de vendettas, de tout ça à la fois, eh bien, Corrosion vous fera les adorer encore plus.
Et ce style, bon sang, ce style ! Si la "claque littéraire" est une norme, alors ce roman est un passage à tabac littéraire, un enchaînement de gauches-droites dans la gueule à en cracher ses dents. Si l'on pressent l'horreur à venir tout du long, c'est en grande partie dû à la fatalité que dégage la patte de l'auteur. On sent véritablement une évolution dans les formulations de phrases, l'emploi à outrance du "et" dans les accumulations qui donnent le sentiment de lire en apnée, la folie d'une phrase d'une page comme un sanglot interminable, tout est là pour provoquer le malaise. Et il faut dire que c'est réussi. Tout ce qu'on y gagne, c'est un vide profond dont on doit sortir la tête quand on referme le livre après chaque chapitre. C'est ça, Corrosion, c'est un uppercut dans le bide qui te coupe le souffle.
L'envie d'être beaucoup plus explicite commence à se faire sentir alors je vais tâcher de m'arrêter là. Mais croyez-moi sur parole quand je dis qu'il faut le lire, que la surprise en vaut la chandelle, que c'est du génie, tout simplement. À tout les marginaux qui croiraient encore que le roman noir est mou, à toutes les vieilles peaux qui assimilent la littérature noire à du roman mal torché écrit pour distraire papy en salle d'attente du médecin, à tous les ex-fans de polar lassés de bouses conventionnelles à vomir, à vous, à tout le monde : Corrosion, c'est de la bonne. De la putain de bonne.
Corrosion, Jon Bassoff. Gallmeister, janvier 2016. 240 p. 17,20€
Sur le site de l'éditeur