Avis aux auteurs et à tous les autres soucieux de me faire plaisir en risquant de m’offrir un livre pour Noël ou toute autre occasion, quitte à me ramasser chancelant et bavant des propos incohérents comme « trop, beaucoup trop de papier ». J’aime les huis clos. Enfin, je les aime quand ils sont très bien faits, et je les admire d’autant plus quand c’est le cas. Avouez quand même que, quand on prend un excellent huis clos comme Jessie, de Stephen King, dans lequel une femme en pleins préliminaires, attachée à son lit, vient de tuer d’un coup de pied son mari devenu violent, qu’elle s’aperçoit qu’elle est seule à des kilomètres à la ronde dans leur cabane en campagne au bord d’un lac, le tout en moins de vingt pages et qu’il en reste encore trois cents… putain que ça force le respect. Ça doit être pour ça que j’en lis le moins possible, d’ailleurs, pour me préserver des mauvais et m’enthousiasmer béatement devant les bons. C’est si porteur d’émotions négatives et viscérales. Oh, c’est bon. Eh bien De si parfaites épouses n’est pas un huis-clos, je vous ai bien eu. Mais en fait, c’en est un. Laissez-moi me fendre d’un double-bazinga et puis je m’explique.
Nous sommes en 1958, à Detroit et plus précisément sur Adler Avenue, un quartier blanc à deux pas de l’usine dans laquelle travaillent tous les hommes, en laissant leurs femmes s’occuper de la maison. Les quatre qui nous intéressent sont Malina, la brune un tantinet névrosée ayant épousé un mari violent ; Grace, la blonde enceinte de huit mois qui file le parfait amour avec James ; Julia, la rousse rondouillette qui a déjà perdu l’enfant qu’elle a eu de son alcoolique de mari Bill et qui compense en gardant ses jumelles de nièces ; et enfin Elisabeth, une jeune femme attardée de 21 ans qui n’est qu’une enfant perdue et qui vit chez son père, le vieux M. Symanski. Alors que le quartier doit faire face à un voisinage de plus en plus dérangeant et inquiétant, des noirs qui s'installent petit à petit dans un immeuble près de l'usine et dont femmes et filles font le tapin le jour de la paie, une tragédie se produit. Elisabeth disparaît alors qu'elle était censée être rentrée chez son père. Aussitôt, les habitants des environs font preuve d'une solidarité sans précédent, organisent des battues, ne se rendent plus au travail que par roulements pour pouvoir participer aux recherches, les femmes préparent les repas distribués aux volontaires dans la salle paroissiale. Tout le monde doit alors faire avec un stress incroyable et tenter de vivre malgré tous les aléas de la vie. Les femmes voient leur quotidien chamboulé à bien des niveaux, d'autant plus lorsque de vieilles histoires remontent à la surface.
Venons-en au fait, pourquoi est-ce et n'est-ce pas un huis clos ? Je m'en vais vous l'expliquer, petits chenapans. Ce n'en est évidemment pas un puisque l'action ne se déroule pas dans un lieu délimité et fini, comme une pièce ou un bâtiment tout entier. Bien au contraire, puisque les personnages se déplacent sans cesse, et ne font quasiment que ça. Mais si c'en est un, c'est parce qu'au final, l'histoire ne se passe que dans la même rue d'Adler Avenue et qu'on est obligés de se sentir oppressés et étouffés par le manque de diversité des lieux. Tout se passe intégralement dans ce petit quartier. Même les exceptions le confirment. Par exemple, lorsque les battues dépassent les limites du quartier, tous les habitants ont déjà perdu l'espoir de la retrouver et nous-mêmes, en tant que lecteurs, sentons bien que c'est obligé de se passer à l'intérieur des limites, et qu'ils ne trouveront rien ici. Autre chose, lorsque Malina s'aventure aux limites du quartier dès le début du roman pour suivre une petite noire promenant un landau. Malina est terrifiée, littéralement angoissée par le fait de sortir des lieux qu'elle connait et on sent que tout est fait pour nous ramener au cœur d'Adler Avenue pour peu qu'on tente d'en sortir. Le monde n'existe pas, tout simplement. Le monde est Adler Avenue.
Et puis, ça va encore plus loin. La raison principale de cette claustrophobie imaginaire, c'est surtout ce qui distingue les trois "héroïnes" qui ne sont rien de plus que des ménagères. Des femmes des années 1950. Pour elles, si le monde s'arrête à Adler Avenue, leur pays n'est pas plus grand que leur maison. J'aurais même pu faire une blague misogyne de mauvais goût en disant que leur territoire ne dépasse pas la cuisine qu'en fait, j'aurais été dans le vrai. Alors évidemment, elles se déplacent pour aller à la messe, rendre visite à leurs voisines, etc., mais ce qui est frappant, c'est à quel point leur vie tourne autour de la cuisine. La quasi-intégralité du champ lexical employé dans le roman est basé sur la nourriture ou le ménage, tout simplement parce qu'elles n'ont que cela à faire. Sans emploi, comme la plupart des femmes américaines (et au-delà) dans ces années, leur journée-type est partagée entre le ménage, aller faire les courses, préparer à manger, s'occuper à tricoter ou autre chose, faire la cuisine à nouveau et finir par se coucher. Du coup, la dimension que prend ce roman évolue d'autant plus. On n'est pas seulement confiné aux limites d'un quartier suant sang et eau pour retrouver une jeune femme disparue, on est surtout plongé dans le quotidien de "parfaites épouses" qui ne peuvent rien faire pour aider leur amie disparue. Leur seule contribution aux recherches consiste vraiment à faire à manger pour les hommes des groupes de recherche. Tant d'impuissance face au drame déroute, et plombe magnifiquement l'ambiance.
Voilà donc ce qu'est De parfaites épouses. Une histoire de disparition vécue par les proches impuissantes de la victime. Avec en prime, des histoires annexes relatives à chaque personnage, des histoires qui n'ont rien d'une promenade de santé, elles non plus. Mais que les amateurs soient prévenus : ce roman noir n'est pas de la même trempe trash que Cry, Father ou d'autres productions américaines basés sur la dépression et l'alcool. Disons que De parfaites épouses est un roman noir posé, américano-puritain, sur la vie de quartier et la condition des femmes dans les années 1950. Ça ne va pas à cent à l'heure pour d'excellentes raisons, et ça fait du bien. Et ça n'empêche pas de ne rien voir venir. Je dis ça, je dis rien...
De si parfaites épouses, Lori Roy. Éditions du Masque, août 2015. 350 p, 20 €
Sur le site de l’éditeur
Nous sommes en 1958, à Detroit et plus précisément sur Adler Avenue, un quartier blanc à deux pas de l’usine dans laquelle travaillent tous les hommes, en laissant leurs femmes s’occuper de la maison. Les quatre qui nous intéressent sont Malina, la brune un tantinet névrosée ayant épousé un mari violent ; Grace, la blonde enceinte de huit mois qui file le parfait amour avec James ; Julia, la rousse rondouillette qui a déjà perdu l’enfant qu’elle a eu de son alcoolique de mari Bill et qui compense en gardant ses jumelles de nièces ; et enfin Elisabeth, une jeune femme attardée de 21 ans qui n’est qu’une enfant perdue et qui vit chez son père, le vieux M. Symanski. Alors que le quartier doit faire face à un voisinage de plus en plus dérangeant et inquiétant, des noirs qui s'installent petit à petit dans un immeuble près de l'usine et dont femmes et filles font le tapin le jour de la paie, une tragédie se produit. Elisabeth disparaît alors qu'elle était censée être rentrée chez son père. Aussitôt, les habitants des environs font preuve d'une solidarité sans précédent, organisent des battues, ne se rendent plus au travail que par roulements pour pouvoir participer aux recherches, les femmes préparent les repas distribués aux volontaires dans la salle paroissiale. Tout le monde doit alors faire avec un stress incroyable et tenter de vivre malgré tous les aléas de la vie. Les femmes voient leur quotidien chamboulé à bien des niveaux, d'autant plus lorsque de vieilles histoires remontent à la surface.
Venons-en au fait, pourquoi est-ce et n'est-ce pas un huis clos ? Je m'en vais vous l'expliquer, petits chenapans. Ce n'en est évidemment pas un puisque l'action ne se déroule pas dans un lieu délimité et fini, comme une pièce ou un bâtiment tout entier. Bien au contraire, puisque les personnages se déplacent sans cesse, et ne font quasiment que ça. Mais si c'en est un, c'est parce qu'au final, l'histoire ne se passe que dans la même rue d'Adler Avenue et qu'on est obligés de se sentir oppressés et étouffés par le manque de diversité des lieux. Tout se passe intégralement dans ce petit quartier. Même les exceptions le confirment. Par exemple, lorsque les battues dépassent les limites du quartier, tous les habitants ont déjà perdu l'espoir de la retrouver et nous-mêmes, en tant que lecteurs, sentons bien que c'est obligé de se passer à l'intérieur des limites, et qu'ils ne trouveront rien ici. Autre chose, lorsque Malina s'aventure aux limites du quartier dès le début du roman pour suivre une petite noire promenant un landau. Malina est terrifiée, littéralement angoissée par le fait de sortir des lieux qu'elle connait et on sent que tout est fait pour nous ramener au cœur d'Adler Avenue pour peu qu'on tente d'en sortir. Le monde n'existe pas, tout simplement. Le monde est Adler Avenue.
Et puis, ça va encore plus loin. La raison principale de cette claustrophobie imaginaire, c'est surtout ce qui distingue les trois "héroïnes" qui ne sont rien de plus que des ménagères. Des femmes des années 1950. Pour elles, si le monde s'arrête à Adler Avenue, leur pays n'est pas plus grand que leur maison. J'aurais même pu faire une blague misogyne de mauvais goût en disant que leur territoire ne dépasse pas la cuisine qu'en fait, j'aurais été dans le vrai. Alors évidemment, elles se déplacent pour aller à la messe, rendre visite à leurs voisines, etc., mais ce qui est frappant, c'est à quel point leur vie tourne autour de la cuisine. La quasi-intégralité du champ lexical employé dans le roman est basé sur la nourriture ou le ménage, tout simplement parce qu'elles n'ont que cela à faire. Sans emploi, comme la plupart des femmes américaines (et au-delà) dans ces années, leur journée-type est partagée entre le ménage, aller faire les courses, préparer à manger, s'occuper à tricoter ou autre chose, faire la cuisine à nouveau et finir par se coucher. Du coup, la dimension que prend ce roman évolue d'autant plus. On n'est pas seulement confiné aux limites d'un quartier suant sang et eau pour retrouver une jeune femme disparue, on est surtout plongé dans le quotidien de "parfaites épouses" qui ne peuvent rien faire pour aider leur amie disparue. Leur seule contribution aux recherches consiste vraiment à faire à manger pour les hommes des groupes de recherche. Tant d'impuissance face au drame déroute, et plombe magnifiquement l'ambiance.
Voilà donc ce qu'est De parfaites épouses. Une histoire de disparition vécue par les proches impuissantes de la victime. Avec en prime, des histoires annexes relatives à chaque personnage, des histoires qui n'ont rien d'une promenade de santé, elles non plus. Mais que les amateurs soient prévenus : ce roman noir n'est pas de la même trempe trash que Cry, Father ou d'autres productions américaines basés sur la dépression et l'alcool. Disons que De parfaites épouses est un roman noir posé, américano-puritain, sur la vie de quartier et la condition des femmes dans les années 1950. Ça ne va pas à cent à l'heure pour d'excellentes raisons, et ça fait du bien. Et ça n'empêche pas de ne rien voir venir. Je dis ça, je dis rien...
De si parfaites épouses, Lori Roy. Éditions du Masque, août 2015. 350 p, 20 €
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