Je voudrais un bouquin léger, drôle, facile à lire, intelligent mais pas compliqué, fin mais pas peigne-cul, pour aller à la plage avec ma grand-mère souffrante. Chaque homme possède son Némésis, chaque personne sur Terre appréhende un évènement ou une chose comme l’avènement d’une bombe H dans leur bonne humeur du moment. Superman pète la forme à force de sauver des bombasses permanentées, il a la patate et pouf, La Kryptonite se pointe quand ça faut pas. On a tous quelque chose que l’on redoute car nous connaissons exactement ce qui va se passer ensuite. On craint ça. Pour les politiques, l’ouverture d’un placard. Pour les marins, les tempêtes. Pour les libraires, c’est l’affreux conseil du « bouquin léger ». Le moment où ils sentent que peu importe s’ils ont bouffé un lion et demi à la pause déjeuner, ça va mal se finir. On déploie l’artillerie et on y met du sien, ça cogite et ça transpire, pour finir par voir l’ennemi repartir un Musso à la main. Mesdames et messieurs les clients, vous êtes rudes et dopés à la contradiction, mais sachez que votre libraire ne vous en veut pas. Car au fond de lui, il les connait, les bouquins légers d’une qualité remarquable. Rien que ça, ça lui redonne le moral.
À l’approche de l’été et de la demande croissante de livres de plage, on s’était félicité de l’arrivée d’Aphrodite et vieilles dentelles sur ce blog, un roman léger et divertissant loin d’être con. Aujourd’hui, voyons un autre exemple d’un autre genre, le polar cette fois, avec Delirium Tremens. Alors préparez vos foies, Ken Bruen est irlandais. Ça n’a peut être aucun sens, mais son personnage, Jack Taylor, pense que c’est lié. Il est ancien flic, répudié pour avoir frappé un ministre qui se croyait au dessus-de la loi. Le problème avec ça, c’est qu’il n’y a pas que sa carrière qui semble morte et enterrée, contraint qu’il est de devenir détective privé au rabais. Il y a aussi son intégrité, visiblement. Il retrouve des choses et ne coûte pas cher. Et surtout, il boit. Il boit, bordel. Pilier de bar du Grogan’s, maître du café allongé au brandy et champion olympique du lever de coude matinal. Rien dans sa vie à part les bouquins dont les citations résonnent avec les évènements. Quand soudain, une femme. La mère éplorée d’une adolescente suicidée. Elle, n’y croit pas. Trop d’adolescentes noyée au même endroit après avoir bossé au même endroit. D’habitude, Jack trouve des choses, il ne résout pas de crimes. Mais là, il faudra bien.
Et puis… rien. En fait, si. À peine après avoir fureté très légèrement, il se fait tabasser. Et après, rien. Aux chiottes l’enquête, avec la gerbe fraîche de la cuite d’hier. L’enquête de Jack Taylor est monstrueusement clownesque et semble totalement lui échapper, au point qu’on se demanderait presque s’il se rappelle qu’il enquête sur quelque chose. On le suit chez le coiffeur, au Grogan’s, à l’hôpital et puis de temps en temps, un indice lui tombe dessus plutôt que l’inverse, et c’est reparti pour quelques minutes d’enquête avant d’être rattrapé par sa dantesque consommation d’alcool. Mais il n’y a pas que pour ça, que c’est drôle. Ken Bruen a le sens du comique de situation et sait l’exploiter à fond, pour nous donner des scènes d’anthologie comme Taylor insultant une pièce vide, par exemple. Ou son sens de la répartie. Tout est savamment étudié pour nous faire mourir de rire.
Mais je le disais en introduction, Delirium tremens n’est pas que ça. C’est drôle, oui mais pas toujours, en fait. L’alcool le premier. Les personnages ivres font des choses drôles et Jack Taylor est un sacré bouffon, mais il y a trop d’alcool. Beaucoup trop. Ce n’est ni justifié, ni justifiable, et ça donne même une impression étrange lorsqu’on sort d’une scène alcoolisée burlesque et qu’on tombe d’un seul coup sur l’après, la façon dont sa vie est ruinée quoiqu’il fasse. Il ne peut pas faire un pas sans finir en déchet, il est seul et triste. Taylor est un raté. Il attire notre compassion, mais seulement de temps en temps. Souvent, on a juste envie de se voiler la face et de croire que c’est drôle, juste pour ne pas s’infliger sa tristesse.
Et au final, si on prend suffisamment de recul, c’est assez facile de se dire que oui, ce livre parle durement de choses sérieuses ; oui, ce roman est en fait absurde et foutrement drôle… mais au-delà de ça, Delirium tremens est un roman noir bien vénère comme on les aime. Ça boit, ça cogne et l’enquête nous revient de temps en temps comme une envie de pisser, alors qu’on était si bien plongés dans la déchéance spectaculaire d’un homme. Il est sacrément bien écrit, en plus, et donne des tas de conseils d’excellents polars au fil des pérégrinations littéraires de Taylor. Un polar complet, en somme, qui peut aussi bien accompagner vos soirées d’après-Scrabble comme vos folles après-midi de farniente moite et sexy à la plage. Sauf qu’une fois de plus, vous vous serez éloignés d’une bouse. Alors pour la dernière fois, lâchez ce putain de Musso. Ça devient lassant, à la fin.
Delirium tremens, Ken Bruen. Folio Policier, avril 2016. 384p, 8,20 €.
Sur le site de l’éditeur
À l’approche de l’été et de la demande croissante de livres de plage, on s’était félicité de l’arrivée d’Aphrodite et vieilles dentelles sur ce blog, un roman léger et divertissant loin d’être con. Aujourd’hui, voyons un autre exemple d’un autre genre, le polar cette fois, avec Delirium Tremens. Alors préparez vos foies, Ken Bruen est irlandais. Ça n’a peut être aucun sens, mais son personnage, Jack Taylor, pense que c’est lié. Il est ancien flic, répudié pour avoir frappé un ministre qui se croyait au dessus-de la loi. Le problème avec ça, c’est qu’il n’y a pas que sa carrière qui semble morte et enterrée, contraint qu’il est de devenir détective privé au rabais. Il y a aussi son intégrité, visiblement. Il retrouve des choses et ne coûte pas cher. Et surtout, il boit. Il boit, bordel. Pilier de bar du Grogan’s, maître du café allongé au brandy et champion olympique du lever de coude matinal. Rien dans sa vie à part les bouquins dont les citations résonnent avec les évènements. Quand soudain, une femme. La mère éplorée d’une adolescente suicidée. Elle, n’y croit pas. Trop d’adolescentes noyée au même endroit après avoir bossé au même endroit. D’habitude, Jack trouve des choses, il ne résout pas de crimes. Mais là, il faudra bien.
Et puis… rien. En fait, si. À peine après avoir fureté très légèrement, il se fait tabasser. Et après, rien. Aux chiottes l’enquête, avec la gerbe fraîche de la cuite d’hier. L’enquête de Jack Taylor est monstrueusement clownesque et semble totalement lui échapper, au point qu’on se demanderait presque s’il se rappelle qu’il enquête sur quelque chose. On le suit chez le coiffeur, au Grogan’s, à l’hôpital et puis de temps en temps, un indice lui tombe dessus plutôt que l’inverse, et c’est reparti pour quelques minutes d’enquête avant d’être rattrapé par sa dantesque consommation d’alcool. Mais il n’y a pas que pour ça, que c’est drôle. Ken Bruen a le sens du comique de situation et sait l’exploiter à fond, pour nous donner des scènes d’anthologie comme Taylor insultant une pièce vide, par exemple. Ou son sens de la répartie. Tout est savamment étudié pour nous faire mourir de rire.
Mais je le disais en introduction, Delirium tremens n’est pas que ça. C’est drôle, oui mais pas toujours, en fait. L’alcool le premier. Les personnages ivres font des choses drôles et Jack Taylor est un sacré bouffon, mais il y a trop d’alcool. Beaucoup trop. Ce n’est ni justifié, ni justifiable, et ça donne même une impression étrange lorsqu’on sort d’une scène alcoolisée burlesque et qu’on tombe d’un seul coup sur l’après, la façon dont sa vie est ruinée quoiqu’il fasse. Il ne peut pas faire un pas sans finir en déchet, il est seul et triste. Taylor est un raté. Il attire notre compassion, mais seulement de temps en temps. Souvent, on a juste envie de se voiler la face et de croire que c’est drôle, juste pour ne pas s’infliger sa tristesse.
Et au final, si on prend suffisamment de recul, c’est assez facile de se dire que oui, ce livre parle durement de choses sérieuses ; oui, ce roman est en fait absurde et foutrement drôle… mais au-delà de ça, Delirium tremens est un roman noir bien vénère comme on les aime. Ça boit, ça cogne et l’enquête nous revient de temps en temps comme une envie de pisser, alors qu’on était si bien plongés dans la déchéance spectaculaire d’un homme. Il est sacrément bien écrit, en plus, et donne des tas de conseils d’excellents polars au fil des pérégrinations littéraires de Taylor. Un polar complet, en somme, qui peut aussi bien accompagner vos soirées d’après-Scrabble comme vos folles après-midi de farniente moite et sexy à la plage. Sauf qu’une fois de plus, vous vous serez éloignés d’une bouse. Alors pour la dernière fois, lâchez ce putain de Musso. Ça devient lassant, à la fin.
Delirium tremens, Ken Bruen. Folio Policier, avril 2016. 384p, 8,20 €.
Sur le site de l’éditeur