Il y a des romans écrits au premier degré, qu’ils soient bon ou mauvais. Il y en a toujours. Du roman nombriliste rédigé comme un C.V. blindé au Petit Robert pour prétendre à un siège tout doux de l’Académie française, jusqu’au thriller rutilant devenant film avant même qu’il ne soit livre, une sacrée part de fiction est écrite au premier degré. C’est normal, c’est le propre de la fiction lorsqu’il faut qu’elle nous transporte. Je veux dire, comment le ferait-elle si ce n’était pas le cas ? Comment accorder notre confiance aveugle au récit ? Ensuite, de temps à autre, on trouve une parodie. Un truc délirant, traînant tous les codes du genre traité au premier degré dans une boue onctueuse vouée à faire rire, à faire réfléchir, à volontairement nous sortir de notre lecture, tout un tas de raisons justifiables dont il n’est pas question ici. Ça sort quelques fois de l’ordinaire, et c’est sympa. Et puis, parfois, il peut nous arriver de tomber sur un roman… comment dire ? Vous voyez, c’est un très bon livre. Il est excellent, même, mais… On a beau passer notre temps à poser notre cerveau sur la table et le reprendre, on ne sait jamais vraiment sur quel pied danser. Ces romans-là sont de véritables exploits. Dès qu’un roman vous perd sur sa nature, croyez-le bien, il sera toujours écrit par un génie.
Bon. Pourquoi je dis ça ? Pour vous répondre, il faut d’abord que je vous parle de Fausse piste. Milo Milodragovitch est un détective privé, ex-adjoint du shérif, qui n’a pas trouvé d’autre moyen pour se reconvertir que de se spécialiser dans les affaires de divorces. Il a les contacts, les appareils photos, il a une bonne expérience personnelle et la flemme suffisante pour souvent refiler le boulot à ses indics, empocher le fric, le distribuer un peu, puis tout claquer au Mahoney’s où son ardoise est longue comme la Route 66. Le problème, c’est que dans son État, les divorces se font maintenant à l’amiable et le boulot ne pleut plus autant qu’avant. Il va devoir mettre la clé sous la porte. Un jour, une jeune femme, trop propre sur elle pour venir le voir lui, passe la porte de son bureau. Son frère a disparu, sa famille s’inquiète. Milo n’accepte pas pour l’argent, il accepte pour avoir une chance de la séduire. Mais le résultat de sa courte et ridicule enquête initiale va changer la donne. Pour l’unique et ultime fois de sa carrière, Milo va devoir de relever les manches, plonger dans la merde qu’est sa vie et essuyer les coups là où il passera. S’il ne fait pas pour lui, il le fera pour cette créature qui l’obsède.
Disons-le tout de suite, Fausse piste est un roman noir le plus classique possible. Pas du néo noir tortueux, du bon vieux noir à détective privé en imper et au whisky au litre. Tout est à sa place et on s’attend presque à entendre du jazz retentir automatiquement dans notre cervelle quand on suit les pérégrinations internes de Milo en croisade pour sa propre conception de la justice. L’ambiance est parfaite, tout simplement. Parfaite pour tous les amoureux de Chandler ayant épuisé le filon de la Série Noire, désireux de retrouver une galerie de personnages hauts en couleur, leur lot de bars miteux et de chambres de motel à l’heure. Ça pue la clope, le sexe, ça refoule le whisky. Bien peu d’auteurs peuvent se vanter de savoir recréer une telle ambiance sans tomber dans le kitsch putassier. Il n’y a que les plus grands, en fin de compte.
Disons-le tout de suite, Fausse piste est un roman noir le plus classique possible. Pas du néo noir tortueux, du bon vieux noir à détective privé en imper et au whisky au litre. Tout est à sa place et on s’attend presque à entendre du jazz retentir automatiquement dans notre cervelle quand on suit les pérégrinations internes de Milo en croisade pour sa propre conception de la justice. L’ambiance est parfaite, tout simplement. Parfaite pour tous les amoureux de Chandler ayant épuisé le filon de la Série Noire, désireux de retrouver une galerie de personnages hauts en couleur, leur lot de bars miteux et de chambres de motel à l’heure. Ça pue la clope, le sexe, ça refoule le whisky. Bien peu d’auteurs peuvent se vanter de savoir recréer une telle ambiance sans tomber dans le kitsch putassier. Il n’y a que les plus grands, en fin de compte.
Mais ce qui est particulier avec ce roman, c’est qu’on ne sait jamais si James Crumley est dans l’hommage véritablement sincère ou la parodie bienveillante. Parfois on l’oublie, puis ça saute aux yeux à nouveau. La scène d’introduction, par exemple, où Milo débite ses insanités sur le monde qui l’entoure en observant, blasé, un voleur à la tire se faire renverser par une voiture puis écraser, puis traîner sur vingt mètres. Ou encore le fait qu’absolument tous les personnages qu’il croise sont alcooliques au dernier degré. J’exagère, il y en a aussi qui sont simplement camés ou perdus, mais la dose d’alcooliques est foutrement inquiétante. Sans parler de Milo, ce branque fini qui excelle dans l’art de brasser de l’air. Et pourtant, ce n’est pas souvent si hilarant ou absurde, c’est plutôt comme si Chandler avait pété un boulard pendant l’écriture d’un de ses romans et avait décidé de se moquer de son propre personnage. C’est plausible, voilà le mot.
Alors entre ça, et les superbes illustrations de Chabouté dont on n’a rien à redire, si ce n’est qu’elles jouent véritablement un rôle de premier plan dans la construction de l’ambiance, vous comprendrez pourquoi ce livre est une réussite totale. Et si le livre n’a fait qu’être édité et réédité en France depuis la fin des années 80, il reste toujours, très bizarrement, d’une fraîcheur immense faite avec du vieux. Un sentiment de nouveau, déjà parce qu’on ne trouve plus autant de bon noir old school de nos jours, et puis parce que ce côté second degré est aussi rare qu’efficace. Cette publication chez Gallmeister est l’occasion de lui apporter un super plus avec la nouvelle traduction de Jacques Mailhos et les dessins de Chabouté, et surtout de le faire redécouvrir à qui sait faire preuve de bon goût. Une œuvre culte à continuer de diffuser autour de vous, à hurler sur tous les toits. À filer à votre papy têteur de goulot. En espérant que ça lui rappelle des souvenirs.
Fausse piste, James Crumley. Gallmeister, avril 2016. 406 p, 23,50 €.
Sur le site de l’éditeur
Alors entre ça, et les superbes illustrations de Chabouté dont on n’a rien à redire, si ce n’est qu’elles jouent véritablement un rôle de premier plan dans la construction de l’ambiance, vous comprendrez pourquoi ce livre est une réussite totale. Et si le livre n’a fait qu’être édité et réédité en France depuis la fin des années 80, il reste toujours, très bizarrement, d’une fraîcheur immense faite avec du vieux. Un sentiment de nouveau, déjà parce qu’on ne trouve plus autant de bon noir old school de nos jours, et puis parce que ce côté second degré est aussi rare qu’efficace. Cette publication chez Gallmeister est l’occasion de lui apporter un super plus avec la nouvelle traduction de Jacques Mailhos et les dessins de Chabouté, et surtout de le faire redécouvrir à qui sait faire preuve de bon goût. Une œuvre culte à continuer de diffuser autour de vous, à hurler sur tous les toits. À filer à votre papy têteur de goulot. En espérant que ça lui rappelle des souvenirs.
Fausse piste, James Crumley. Gallmeister, avril 2016. 406 p, 23,50 €.
Sur le site de l’éditeur