Quel plaisir, de temps à autre, de tomber sur un roman tellement étonnant et particulier qu’on aura beau chercher, on ne se souviendra pas avoir lu quelque chose de semblable. C’est généralement dans ces moments qu’on retrouve le sentiment d’être totalement largué, celui qu’on expérimentait quand on découvrait un nouveau genre de roman, ou un nouvel auteur. Bref, une sensation des débuts que l’on perd à force de lire et de lire et de toujours lire la même chose ou, du moins, c’est l’impression qu’on finit par avoir. Blasé. Ennuyé par ces auteurs qui ont gagné le même scénario dans leur Kinder Surprise et qui l’étirent jusqu’à la trame, que ce soit bien fait ou non. De fait, un roman n’a pas particulièrement besoin d’être un monstre déjà culte de la littérature pour être surprenant comme celui d’aujourd’hui, mais le fait est là : on apprécie aussi un roman pour les sensations qu’il nous offre, pas seulement pour son style, son histoire, ses ficelles. Et un roman qui sera si particulier aura forcément un cachet de plus à nos yeux. C’est comme ça. Un bon roman unique devient un excellent roman. Tout est affaire de sensations. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le roman de cette semaine ne distribue que ça. Sensations, et encore sensations.
Reprenons depuis le début. La Mort au crépuscule se passe dans un bled américain des années 1970, un de plus. Dans ce bled vit Fenton Breece, le croque-mort excentrique et mielleux qui se charge des dépouilles de tout le comté. Le problème, c’est qu’à la mort de leur père, Kenneth et Corrie Tyler avaient commandé un caveau à Breece que celui-ci a apparemment récupéré quelques temps plus tard. Bouleversés, ils ont décidé d’ouvrir les tombes des clients de Breece afin de vérifier que les dernières volontés des morts avaient été respectées. En fait, ils trouvent bien pire : ordures dans le cercueil, pénis de cadavres arrachés et insérés à l’endroit adéquat plusieurs tombes plus loin, plusieurs cadavres dans une même tombe… Kenneth et Corrie récupèrent des photos et ont la mauvaise idée de faire chanter Breece pour qu’il inhume correctement leur père de nouveau, et récupérer un paquet d’argent au passage. Sauf que Breece n’est pas homme à se laisser faire. Il engage un tueur psychopathe du nom de Sutter pour « régler le problème ». Et ça risque de faire du vilain.
Ce qui détonne tout de suite, c’est l’écriture. Le style de William Gay est on ne peut plus particulier, imagé au possible et presque poétique, d’une façon plutôt macabre. Si l’atmosphère de se roman est si spéciale, c’est en grande partie grâce à ça. C’est simple, s’il n’y avait pas eu un fossoyeur dès le début, on se serait forcément attendu à ce qu’il y en ait un qui déboule au milieu du roman en souriant de toutes ses dents. C’est fichtrement baroque. Et puis il y a les personnages, justement. Ils semblent absolument tous être des caricatures d’eux-mêmes, des exagérations sûrement voulues qui renforcent cette ambiance étrange, entre le cirque et le train fantôme. À vrai dire, le personnage de Fenton Breece, dans son excentricité vestimentaire et ses manières, fait presque penser à Buffalo Bill dans Le Silence des agneaux. Sutter est l’archétype du barge complet, du psychopathe sûr de lui et qui aime jouer avec sa proie au lieu de lui coller une bonne balle et qu’on en finisse. Sans parler des personnages que Kenneth sera amené à croiser dans sa fuite en forêt, un par un, de la sorcière au vieil homme sage.
Et parlons-en, de la forêt. En fait, parlons de tout ça, personnages, style et fuite en forêt. Très rapidement, on comprend qu’on ne lit pas un polar classique, mais c’est d’autant plus flagrant lors de la fuite de Kenneth dans la forêt, qui se perd et tombe sur des personnages caricaturaux. On commence à se le représenter comme un petit garçon traqué par un grand méchant loup, aidé dans sa quête par une sorcière, un vieux monsieur, un villageois, et caetera. L’écriture aidant, on entre en fait dans un conte classique. Du genre à porter des messages et des dangers similaires que les contes qu’on connaît, mais pas édulcorés. C’est franchement plaisant, bon sang.
Et je ne parle pas de la tension nerveuse que l’on ressent quand on est capable d’imaginer ce qui va se passer quand on décrypte les évènements en cours. Je n’en dis pas plus, rassurez-vous. Mais c’est ça aussi qui fait un bon roman noir/polar/thriller, encore faut-il savoir le faire. Et William Gay le fait à la perfection. On a peur de ce qui va résulter de toute cette merde, et quand on sent que ça se calme, on se rend compte qu’on a complètement oublié le prologue qui était un flash-forward. Et la gifle. Encore.
De toute façon, je ne vois pas quoi rajouter, je suis bloqué pour ne pas spoiler et j’ai l’impression d’avoir déjà tout dit en quelques lignes d’introduction : ce roman est surprenant, loin d’être commun. Et aussi amoral et pervers, ce qui est toujours rigolo, non ? Se dégoûter sciemment, se mettre mal à l’aise et en redemander à chaque page, comme pour les Furies de Borås dans un tout autre registre. La littérature, c’est aussi fait pour ça. Se tortiller sur son siège et jubiler en se traitant de taré…. Non ?
La Mort au crépuscule, William Gay. Folio Policier, mars 2012. 384p, 7,70€.
Sur le site de l’éditeur
Reprenons depuis le début. La Mort au crépuscule se passe dans un bled américain des années 1970, un de plus. Dans ce bled vit Fenton Breece, le croque-mort excentrique et mielleux qui se charge des dépouilles de tout le comté. Le problème, c’est qu’à la mort de leur père, Kenneth et Corrie Tyler avaient commandé un caveau à Breece que celui-ci a apparemment récupéré quelques temps plus tard. Bouleversés, ils ont décidé d’ouvrir les tombes des clients de Breece afin de vérifier que les dernières volontés des morts avaient été respectées. En fait, ils trouvent bien pire : ordures dans le cercueil, pénis de cadavres arrachés et insérés à l’endroit adéquat plusieurs tombes plus loin, plusieurs cadavres dans une même tombe… Kenneth et Corrie récupèrent des photos et ont la mauvaise idée de faire chanter Breece pour qu’il inhume correctement leur père de nouveau, et récupérer un paquet d’argent au passage. Sauf que Breece n’est pas homme à se laisser faire. Il engage un tueur psychopathe du nom de Sutter pour « régler le problème ». Et ça risque de faire du vilain.
Ce qui détonne tout de suite, c’est l’écriture. Le style de William Gay est on ne peut plus particulier, imagé au possible et presque poétique, d’une façon plutôt macabre. Si l’atmosphère de se roman est si spéciale, c’est en grande partie grâce à ça. C’est simple, s’il n’y avait pas eu un fossoyeur dès le début, on se serait forcément attendu à ce qu’il y en ait un qui déboule au milieu du roman en souriant de toutes ses dents. C’est fichtrement baroque. Et puis il y a les personnages, justement. Ils semblent absolument tous être des caricatures d’eux-mêmes, des exagérations sûrement voulues qui renforcent cette ambiance étrange, entre le cirque et le train fantôme. À vrai dire, le personnage de Fenton Breece, dans son excentricité vestimentaire et ses manières, fait presque penser à Buffalo Bill dans Le Silence des agneaux. Sutter est l’archétype du barge complet, du psychopathe sûr de lui et qui aime jouer avec sa proie au lieu de lui coller une bonne balle et qu’on en finisse. Sans parler des personnages que Kenneth sera amené à croiser dans sa fuite en forêt, un par un, de la sorcière au vieil homme sage.
Et parlons-en, de la forêt. En fait, parlons de tout ça, personnages, style et fuite en forêt. Très rapidement, on comprend qu’on ne lit pas un polar classique, mais c’est d’autant plus flagrant lors de la fuite de Kenneth dans la forêt, qui se perd et tombe sur des personnages caricaturaux. On commence à se le représenter comme un petit garçon traqué par un grand méchant loup, aidé dans sa quête par une sorcière, un vieux monsieur, un villageois, et caetera. L’écriture aidant, on entre en fait dans un conte classique. Du genre à porter des messages et des dangers similaires que les contes qu’on connaît, mais pas édulcorés. C’est franchement plaisant, bon sang.
Et je ne parle pas de la tension nerveuse que l’on ressent quand on est capable d’imaginer ce qui va se passer quand on décrypte les évènements en cours. Je n’en dis pas plus, rassurez-vous. Mais c’est ça aussi qui fait un bon roman noir/polar/thriller, encore faut-il savoir le faire. Et William Gay le fait à la perfection. On a peur de ce qui va résulter de toute cette merde, et quand on sent que ça se calme, on se rend compte qu’on a complètement oublié le prologue qui était un flash-forward. Et la gifle. Encore.
De toute façon, je ne vois pas quoi rajouter, je suis bloqué pour ne pas spoiler et j’ai l’impression d’avoir déjà tout dit en quelques lignes d’introduction : ce roman est surprenant, loin d’être commun. Et aussi amoral et pervers, ce qui est toujours rigolo, non ? Se dégoûter sciemment, se mettre mal à l’aise et en redemander à chaque page, comme pour les Furies de Borås dans un tout autre registre. La littérature, c’est aussi fait pour ça. Se tortiller sur son siège et jubiler en se traitant de taré…. Non ?
La Mort au crépuscule, William Gay. Folio Policier, mars 2012. 384p, 7,70€.
Sur le site de l’éditeur