Ah, les trésors exhumés. Ça a un goût particulier, lorsqu’un texte oublié depuis près d’un demi-siècle se retrouve en librairie. Ça a un goût de… comment dire ? C’est le décalage temporel qui fait ça, qu’il soit ancré ou non dans une époque, il y a toujours quelque chose pour le trahir, et il apparaîtra soit puissamment sage et visionnaire, soit méchamment has-been. Mais la deuxième catégorie n’est jamais vraiment choisie pour être publiée tant d’années après. Aucun intérêt. La première donc ? Mais que ferait, pendant tout ce temps, un texte à la fois intelligent et de bonne qualité dans un des tiroirs de l’histoire éditoriale ? Pas le moment, pas de lecteurs, autre chose de mieux à publier, on peut trouver toutes les raisons du monde. Mais quand ce texte refait finalement surface et que sa thématique fait écho avec l’actualité ou simplement une des multiples actualités de notre époque – au pif : les dictatures militaires – voilà donc pourquoi il devient si intéressant et prend sa saveur particulière. Bon sang, comment caractériser ce goût ? Ça a un goût de… voilà, de nouveauté.
Nous partons donc pour l'île d'Arepa, péninsule célèbre pour sa culture d'ananas, au début du XXIe siècle. Le pouvoir est aux mains du maréchal et président Belaunzarán, "ex-enfant héros", déjà élu quatre fois par son peuple confiant. Un militaire au pouvoir, des élections unanimes, vous pourriez croire que Belaunzarán est un dictateur et vous auriez tout à fait raison. Cela dit, il arrive au terme de son quatrième mandat, les élections approchent et la constitution arépaine interdit d'en briguer un cinquième. Pas d'autre solution pour lui, il cède la place au vice-président comme candidat du parti progressiste. Soudain, le favori de l'opposition est assassiné. Le président en est ému, lui rend un vibrant hommage, la foule en liesse réclame une révision de la constitution pour pouvoir le faire réélire, ce qu'il obtient. C'en est trop pour les membres de l'opposition. Il va falloir faire quelque chose. En dernier recours, ils font appel à l'homme providentiel : Pepe Cussirat, ingénieur et pilote d'avion parti étudier à l'étranger. Il est obligé de remporter les élections. À moins que...
Impossible de prédire l'immense carnaval de rebondissements qui s'abattra sur nos personnages, l'humour absurde de Jorge Ibargüengoitia (reprend son souffle) en est garant. L’île d’Arepa est un peu comme un passage manquant à Candide, en fin de compte. Niveau situation politique, démagogie flagrante et tout le reste, tout ressemble franchement à une dystopie bien barrée traitée avec toute la légèreté qu’on connaît à Voltaire. On ne comprend le danger d’un tel régime qu’avec notre regard extérieur et notre expérience des informations en provenance d’autocraties d’Amérique latine ou d’ailleurs ; parce qu’au fond, il a l’air vachement sympathique ce maréchal ! Oui, bon, il monopolise un peu la force, mais il est bonhomme comme il faut, il est rigolo avec son portrait officiel et ses toilettes de luxe. Quant aux personnages, ils sont tous à leur niveau des caricatures déjantées de leur milieu social, de leur profession, des parodies grotesques d’eux-mêmes dont on s’amuse franchement. Oui, ça a tout d’un Candide, version cubaine. Et au-delà de la simple dystopie, c’est l’enchaînement des évènements qui est aussi à s’arracher les cheveux. Sans trop en dire, on touche au complot politique, au coup d’État, à l’intrigue amoureuse et même au combat de coq, sauf que le lien n’est pas toujours très logique et vachement rocambolesque. On verrait bien certaines scènes dans une comédie d’espionnage, ni plus ni moins. Je n’en dis pas davantage, mais… la scène de bal. C’est tout. La scène de bal. Vous comprendrez.
Impossible de prédire l'immense carnaval de rebondissements qui s'abattra sur nos personnages, l'humour absurde de Jorge Ibargüengoitia (reprend son souffle) en est garant. L’île d’Arepa est un peu comme un passage manquant à Candide, en fin de compte. Niveau situation politique, démagogie flagrante et tout le reste, tout ressemble franchement à une dystopie bien barrée traitée avec toute la légèreté qu’on connaît à Voltaire. On ne comprend le danger d’un tel régime qu’avec notre regard extérieur et notre expérience des informations en provenance d’autocraties d’Amérique latine ou d’ailleurs ; parce qu’au fond, il a l’air vachement sympathique ce maréchal ! Oui, bon, il monopolise un peu la force, mais il est bonhomme comme il faut, il est rigolo avec son portrait officiel et ses toilettes de luxe. Quant aux personnages, ils sont tous à leur niveau des caricatures déjantées de leur milieu social, de leur profession, des parodies grotesques d’eux-mêmes dont on s’amuse franchement. Oui, ça a tout d’un Candide, version cubaine. Et au-delà de la simple dystopie, c’est l’enchaînement des évènements qui est aussi à s’arracher les cheveux. Sans trop en dire, on touche au complot politique, au coup d’État, à l’intrigue amoureuse et même au combat de coq, sauf que le lien n’est pas toujours très logique et vachement rocambolesque. On verrait bien certaines scènes dans une comédie d’espionnage, ni plus ni moins. Je n’en dis pas davantage, mais… la scène de bal. C’est tout. La scène de bal. Vous comprendrez.
Saluons aussi la brillante idée de faire illustrer ce court roman par des dessins de Samuel Pouvereau, dont quelques exemples illustrent cette même critique. Le truc, en plus d’être superbes, c’est qu’ils sont absolument raccord avec le ton du texte. Burlesques quand le passage est ridicule, mélancoliques quand l’espoir est vain. Bref, que ce soit dans le fond ou dans la forme, Le Tyran meurt au quatrième coup est une réussite qui fait plaisir. Une réussite à lire après un reportage sur papy Fidel, ou tout autre joyeux tyran en visite officielle à Paris, une réussite qui décuplera le plaisir de lecture et la compréhension totale des amitiés historiques franco-dictatoriales. Et puis sans ça, c’est juste un excellent bouquin à lire pour sourire violemment et se détendre, un livre drôle et qui fait réfléchir, que demande le peuple ? Quoi ? Des élections libres ? Et puis quoi encore ? Pourquoi pas une baisse du chômage, tant qu’on y est.
Le Tyran meurt au quatrième coup, Jorge Ibargüengoitia. Le Tripode, février 2016. 158 p, 18 €.
Sur le site de l’éditeur
Le Tyran meurt au quatrième coup, Jorge Ibargüengoitia. Le Tripode, février 2016. 158 p, 18 €.
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