Avertissement : ceci est une critique loin d’être objective, putain. Enfin, comment peut-on ne pas l’être avec Irvine Welsh ? Qui peut me citer une autre série de fresques sociales contemporaines de la même densité que la trilogie Trainspotting ? Et vous feriez mieux de les lire tous avant de me répondre Vernon Subutex, petits malins. En l’espace d’un seul roman, Irvine Welsh avait déjà crée un univers tellement énorme qu’on aurait pu penser qu’il commençait à le dépasser, contraint à tenir compte de la fin différente du film pour créer une suite à son premier roman. Porno était donc une suite évidente quasi nécessaire au développement de ce monde trop étoffé pour un seul livre. Avec Porno, le passage de l’addiction aux drogues à l’addiction à la pornographie était déjà un coup de génie de plus dans un diptyque au réalisme cru qui faisait la part belle à un nombre incalculable d’espoirs brisés dans la société anglaise sous Thatcher puis Blair, comme une sorte de « manuel des dommages collatéraux d’une situation politique sur un pays déjà en crise ». Donc, on avait le passage d’une addiction (voire plusieurs addictions) à d’autres, soit l’évolution d’une même catégorie de laissés pour compte. Il était logique que Welsh s’attaque à une autre problématique plus sombre, à la fatalité atterrante qui nous mine le moral avant même qu’on entame le gros de la chose, la fameuse question : « comment une jeunesse entière a pu finir comme ça ? ».
Tâchons de résumer les parcours personnels des membres de la bande. Renton est un étudiant de fac brillant, promis à un bel avenir s’il le veut. Il a des rêves de voyage en Europe et une belle passion pour la musique même s’il n’a qu’un niveau moyen à la basse. Ça lui suffit pour s’échapper de son quotidien et éviter de penser à son petit frère Davie, lourdement handicapé, véritable poids pour sa famille. Sick Boy est un garçon intelligent, trop même. Ses jours sont rythmés par un apprentissage méthodique de nouveaux mots qu’il utilise comme des armes auprès de la gent féminine qui ne lui résiste jamais. Il les collectionne, il est un prédateur. Tout va au mieux pour lui comme s’il était né sous une belle étoile italienne et, pour ce qui est du changement, son déchet de père s’est enfui et ne fera plus de mal à sa mère. Spud est déjà le faiblard maladif qui subit la vie, qui est né pour suivre et geindre. Tommy suit son petit chemin. Quant à Begbie, c’est Begbie. Un putain de psychopathe gavé à la violence. Mais le chômage s’installe à l'arrivée de Thatcher et avec elle les grèves violemment brisées, puis la résignation, l’ennui, le manque d’argent et enfin la drogue. L’héroïne. La « skag », pour les initiés. Ou comment le détournement lucratif d’un produit pharmaceutique made in Scotland fauche de plein fouet des destins brillants, sans pardonner à personne. Et en refilant le Sida au passage.
Si Trainspotting et Porno portaient vraiment sur l’addiction et la façon dont on vit avec, Skagboys est, lui, le roman de la plongée. Tous ont leurs raisons (ou excuses ?) pour s’envoyer leur premier fix et peu importe lesquelles. Là ou ça devient intéressant, c’est quand on assiste à la puissante décrépitude qui s’ensuit sans qu’aucun ne trouve ça grave. Ce qui est renforcé par la narration en point de vue interne, d’ailleurs. Paf, la skag t’attrape et ne te lâchera pas. C’est évident dans l’évolution du récit, d’abord saturé de références culturelles, jusqu’à la seule omniprésence du besoin de skag, skag, skag, skag. Le plus impressionnant étant surtout la manière dont les personnages se voilent la face, se répétant hystériquement qu’ils peuvent décrocher quand ils veulent, ou que la désintoxication n’est faite que pour se remettre à zéro et pouvoir ensuite replonger en contrôlant méticuleusement les doses pour ne pas finir junkies. Les putains de junkies, ces pauvres cons qui sont complètement addicts, contrairement à eux. Le plus terrible dans l’écriture de Welsh, c’est tout ce qu’on peut lire à travers, que ce soit les conséquences de la politique d’austérité ou le déni le plus complet du toxico.
Bon, rassurez-vous, ça reste quand même sacrément drôle. C’est le cynisme qui fait ça. Skagboys est suffisamment bourré de scènes burlesques à l’extrême – qui vont du concours de la plus longue merde du lundi jusqu’à l’imagination débordante de Sick Boy en matière de drague, et j’en passe – qui donneraient presque envie de participer, juste pour les fous rires insouciants. Irvine Welsh sait comment introduire de l’humour décapant dans une trame horriblement sombre, jusqu’à ce qu’on ne retienne que le plus agréable avant de nous faire gifler d’un coup sec pour retourner à la réalité. Et puis ils sont tous touchants, à leur façon. Tellement touchants que ce n’est pas qu’ils ont des excuses, c'est nous qui leur trouvons des excuses. Pour preuve, Renton dit que ça tombe comme ça. T’as envie de tester et tu plonges, c’est aussi stupide que ça. Peu importe si ton frère handicapé est mourant, si tu es fauché et au chomdu, si tu y es contrainte par ton mac ou si tes potes font tourner. C’est comme ça, c’est tout.
Une critique d’un simple millier de mots ne peut pas retranscrire la dimension phénoménale qu’a Skagboys. Je veux dire, c'est quand même un pavé de 800 pages qui aborde une tripotée de thématiques : le climat social sous Maggie, le chômage et la précarité, l'amitié, les petits boulots, le deuil, la rupture, la délinquance, la rumeur, la manipulation, l'amour, le sexe, la drogue, toutes sortes de drogues, le manque, la désintox, le sida, le cancer, les regrets, la pression sociale, le foot, la guerre, la musique, les idoles, la fuite, la peur, la haine de soi, la haine des autres, la haine de son pays, la haine de cette putain de vie et la rébellion vaine contre un système qu'on voudrait changer et qui nous bouffe. C'est un pavé si dense et tellement écrit avec les tripes que je n'arrive plus à lire quoique ce soit depuis que je l'ai fini, tout est futile et aussi littéraire qu'un Katherine Pancol. Un genre de dépression post-traumatique que je ne peux presque pas soulager en pensant à l'adaptation imminente de Porno au cinoche ou aux autres Welsh pas encore traduits de notre côté de la Manche. À croire que ce livre était un dernier fix avant une cold turkey. Un genre d'au revoir avant de replonger dans la douleur de la réalité.
Mais putain, c'que c'était bon.
Skagboys, Irvine Welsh. Au diable vauvert, avril 2016. 800 p, 25 €.
Sur le site de l’éditeur
Tâchons de résumer les parcours personnels des membres de la bande. Renton est un étudiant de fac brillant, promis à un bel avenir s’il le veut. Il a des rêves de voyage en Europe et une belle passion pour la musique même s’il n’a qu’un niveau moyen à la basse. Ça lui suffit pour s’échapper de son quotidien et éviter de penser à son petit frère Davie, lourdement handicapé, véritable poids pour sa famille. Sick Boy est un garçon intelligent, trop même. Ses jours sont rythmés par un apprentissage méthodique de nouveaux mots qu’il utilise comme des armes auprès de la gent féminine qui ne lui résiste jamais. Il les collectionne, il est un prédateur. Tout va au mieux pour lui comme s’il était né sous une belle étoile italienne et, pour ce qui est du changement, son déchet de père s’est enfui et ne fera plus de mal à sa mère. Spud est déjà le faiblard maladif qui subit la vie, qui est né pour suivre et geindre. Tommy suit son petit chemin. Quant à Begbie, c’est Begbie. Un putain de psychopathe gavé à la violence. Mais le chômage s’installe à l'arrivée de Thatcher et avec elle les grèves violemment brisées, puis la résignation, l’ennui, le manque d’argent et enfin la drogue. L’héroïne. La « skag », pour les initiés. Ou comment le détournement lucratif d’un produit pharmaceutique made in Scotland fauche de plein fouet des destins brillants, sans pardonner à personne. Et en refilant le Sida au passage.
Si Trainspotting et Porno portaient vraiment sur l’addiction et la façon dont on vit avec, Skagboys est, lui, le roman de la plongée. Tous ont leurs raisons (ou excuses ?) pour s’envoyer leur premier fix et peu importe lesquelles. Là ou ça devient intéressant, c’est quand on assiste à la puissante décrépitude qui s’ensuit sans qu’aucun ne trouve ça grave. Ce qui est renforcé par la narration en point de vue interne, d’ailleurs. Paf, la skag t’attrape et ne te lâchera pas. C’est évident dans l’évolution du récit, d’abord saturé de références culturelles, jusqu’à la seule omniprésence du besoin de skag, skag, skag, skag. Le plus impressionnant étant surtout la manière dont les personnages se voilent la face, se répétant hystériquement qu’ils peuvent décrocher quand ils veulent, ou que la désintoxication n’est faite que pour se remettre à zéro et pouvoir ensuite replonger en contrôlant méticuleusement les doses pour ne pas finir junkies. Les putains de junkies, ces pauvres cons qui sont complètement addicts, contrairement à eux. Le plus terrible dans l’écriture de Welsh, c’est tout ce qu’on peut lire à travers, que ce soit les conséquences de la politique d’austérité ou le déni le plus complet du toxico.
Bon, rassurez-vous, ça reste quand même sacrément drôle. C’est le cynisme qui fait ça. Skagboys est suffisamment bourré de scènes burlesques à l’extrême – qui vont du concours de la plus longue merde du lundi jusqu’à l’imagination débordante de Sick Boy en matière de drague, et j’en passe – qui donneraient presque envie de participer, juste pour les fous rires insouciants. Irvine Welsh sait comment introduire de l’humour décapant dans une trame horriblement sombre, jusqu’à ce qu’on ne retienne que le plus agréable avant de nous faire gifler d’un coup sec pour retourner à la réalité. Et puis ils sont tous touchants, à leur façon. Tellement touchants que ce n’est pas qu’ils ont des excuses, c'est nous qui leur trouvons des excuses. Pour preuve, Renton dit que ça tombe comme ça. T’as envie de tester et tu plonges, c’est aussi stupide que ça. Peu importe si ton frère handicapé est mourant, si tu es fauché et au chomdu, si tu y es contrainte par ton mac ou si tes potes font tourner. C’est comme ça, c’est tout.
Une critique d’un simple millier de mots ne peut pas retranscrire la dimension phénoménale qu’a Skagboys. Je veux dire, c'est quand même un pavé de 800 pages qui aborde une tripotée de thématiques : le climat social sous Maggie, le chômage et la précarité, l'amitié, les petits boulots, le deuil, la rupture, la délinquance, la rumeur, la manipulation, l'amour, le sexe, la drogue, toutes sortes de drogues, le manque, la désintox, le sida, le cancer, les regrets, la pression sociale, le foot, la guerre, la musique, les idoles, la fuite, la peur, la haine de soi, la haine des autres, la haine de son pays, la haine de cette putain de vie et la rébellion vaine contre un système qu'on voudrait changer et qui nous bouffe. C'est un pavé si dense et tellement écrit avec les tripes que je n'arrive plus à lire quoique ce soit depuis que je l'ai fini, tout est futile et aussi littéraire qu'un Katherine Pancol. Un genre de dépression post-traumatique que je ne peux presque pas soulager en pensant à l'adaptation imminente de Porno au cinoche ou aux autres Welsh pas encore traduits de notre côté de la Manche. À croire que ce livre était un dernier fix avant une cold turkey. Un genre d'au revoir avant de replonger dans la douleur de la réalité.
Mais putain, c'que c'était bon.
Skagboys, Irvine Welsh. Au diable vauvert, avril 2016. 800 p, 25 €.
Sur le site de l’éditeur