Réfugions-nous dans le passé. Partons quelques instants pour les années 1950 à la rencontre d’Alfred Hayes, auteur méconnu que l’on ne retient aujourd’hui que pour ses talents de scénariste sur Païsa de Rossellini ou encore Teresa de Zinnemann. Et encore. Il a beau avoir eu deux oscars et travaillé sur bon nombre de films cultes, parfois sans même être crédité au générique, à la question « Qui est Alfred Hayes ? », le sondage donnerait une majorité de « mais si, c’est… ce type-là, un Anglais qui a fait du catch et qui commentait des matchs il y a 20 ans. Il est toujours en vie, au fait ? ». Non, parce qu’Alfred Hayes, l’écrivain, semble plutôt faire partie de cette catégorie de poètes maudits, forts mais méconnus. La preuve en est, la traduction d’Une jolie fille comme ça pas loin de soixante ans après sa publication. Horreur, scandale. Mais… sûrement pas en fait.
C’est l’histoire d’un homme scénariste pour Hollywood, brassant l’argent à la pelle jusqu’à s’en dégoûter et regrettant ses années d’insouciance loin de la vermine de pouvoir, et d’une femme très belle qu’il rencontre lors d’une soirée mondaine de plus. Sa première apparition dans la nuit chaude de Los Angeles sur une plage déserte à cette heure de la nuit lui coupe le souffle. Bien comme il faut. Elle est belle, élégante, mignonne lorsqu’elle tombe sur les fesses, déstabilisée par une vague plus violente que les autres. Sauf que la belle s’avance encore, perd sa casquette de marin et finit par s’enfoncer dans l’eau impitoyable de l’océan Pacifique. Il parvient de justesse à la sauver, encore sous le choc de voir ce dont une jolie fille comme ça est capable. Elle le rappelle plus tard, bien sûr, mais est-ce pour le remercier, ou pour s’excuser ? Elle est une femme étrange, distante, blessée et changeante. Elle dit sortir avec lui sur les conseils de son docteur, dont il ne saura jamais rien. Elle a beau être une jolie, cette fille porte en elle une noirceur profonde. Il ne saura que trop tard à quel point.
Derrière cette histoire d’amour presque trop ordinaire de par son déroulement et ses conséquences se cache un thriller psychologique des années 1950 à base de tous les codes du noir, films comme romans. L’homme est le seul narrateur et passe son temps à réfléchir sur le monde, sur son monde, laissant libre cours à son cynisme à propos de ses pairs. Quand ce n’est pas elle la source de ses questionnements. Il faut dire que le mystère qui l’entoure suffit à remettre le déstabiliser en permanence. À tel point que les paragraphes se trouvent presque tous ponctués d’interrogations. Cette fille n’est pas seulement bizarre, elle est aussi touchante dans ce qu’elle fait, excepté les fois où elle commence à faire vraiment peur. La part psychologique des personnages est l’essence même de ce roman, tout simplement. Et l’anonymat des protagonistes, dans tout ça ? Si l’on a l’habitude de penser qu’un nom donne toute sa consistance à un personnage de fiction, on peut oublier. Loi universelle ou talent de Hayes ? Le fait est que leur anonymat ne nous permet de prendre aucun recul. Aucun. Et si l’on combine cela avec leur psychologie détaillée, cela confère à cette histoire que un caractère universel, et tout le monde pourrait la vivre. Ou du moins, tout le monde peut la ressentir au point de s’immerger en entier en l’espace de quelques pages.
Mais allons un peu au-delà. Il y a l’histoire, certes, mais il y a aussi l’ambiance. Une jolie fille comme ça est un roman écrit au milieu du siècle dernier, à l’époque des Chester Himes et Raymond Chandler qui apparaissaient en Série Noire de notre côté de l’Atlantique. À l’époque des Orson Welles et Hitchcock pour ce qui est du cinéma. On prend cette esthétique en pleine tête et c’est tout ce qu’on aime. Sauf que là, c’est du vrai, de l’époque, pas de la parodie ou de l’hommage contemporains que l’on peut retrouver et qui se basent quasi-exclusivement sur du cliché employé comme fan service pour faire vibrer notre corde toute sensible. C’est un peu comme faire une brocante pour trouver un pressage original d’un vinyle de Miles Davis au milieu de rééditions tardives. C’est aussi l’intérêt de ce roman, une histoire qui ne cherche pas à raconter ostensiblement son époque, mais qui l’évoque subtilement au travers de son esthétique. Et puis un roman noir aussi intense que pépère de temps en temps, quoi de mieux pour se détendre et apprécier la richesse de style du polar ?
Une jolie fille comme ça est le roman noir à lire en ce moment. C’est le roman dont il faut apprécier la fraîcheur que lui offre sa publication tardive, c’est le roman qui fait du bien sans être « concon », c’est le roman qui prouve que du roman noir peut être publié dans une collection de littérature générale sans que cela fasse fuir le lectorat. C’est le roman qui prouvera aux cyniques et au désabusés que l’amour, c’est vraiment de la merde. Et c’est surtout une conclusion qui fait au choix : réfléchir, peur, ou sourire. C’est superbe. C’est tout.
Une jolie fille comme ça, Alfred Hayes. Gallimard, octobre 2015. 176 p, 17 €
Sur le site de l’éditeur
C’est l’histoire d’un homme scénariste pour Hollywood, brassant l’argent à la pelle jusqu’à s’en dégoûter et regrettant ses années d’insouciance loin de la vermine de pouvoir, et d’une femme très belle qu’il rencontre lors d’une soirée mondaine de plus. Sa première apparition dans la nuit chaude de Los Angeles sur une plage déserte à cette heure de la nuit lui coupe le souffle. Bien comme il faut. Elle est belle, élégante, mignonne lorsqu’elle tombe sur les fesses, déstabilisée par une vague plus violente que les autres. Sauf que la belle s’avance encore, perd sa casquette de marin et finit par s’enfoncer dans l’eau impitoyable de l’océan Pacifique. Il parvient de justesse à la sauver, encore sous le choc de voir ce dont une jolie fille comme ça est capable. Elle le rappelle plus tard, bien sûr, mais est-ce pour le remercier, ou pour s’excuser ? Elle est une femme étrange, distante, blessée et changeante. Elle dit sortir avec lui sur les conseils de son docteur, dont il ne saura jamais rien. Elle a beau être une jolie, cette fille porte en elle une noirceur profonde. Il ne saura que trop tard à quel point.
Derrière cette histoire d’amour presque trop ordinaire de par son déroulement et ses conséquences se cache un thriller psychologique des années 1950 à base de tous les codes du noir, films comme romans. L’homme est le seul narrateur et passe son temps à réfléchir sur le monde, sur son monde, laissant libre cours à son cynisme à propos de ses pairs. Quand ce n’est pas elle la source de ses questionnements. Il faut dire que le mystère qui l’entoure suffit à remettre le déstabiliser en permanence. À tel point que les paragraphes se trouvent presque tous ponctués d’interrogations. Cette fille n’est pas seulement bizarre, elle est aussi touchante dans ce qu’elle fait, excepté les fois où elle commence à faire vraiment peur. La part psychologique des personnages est l’essence même de ce roman, tout simplement. Et l’anonymat des protagonistes, dans tout ça ? Si l’on a l’habitude de penser qu’un nom donne toute sa consistance à un personnage de fiction, on peut oublier. Loi universelle ou talent de Hayes ? Le fait est que leur anonymat ne nous permet de prendre aucun recul. Aucun. Et si l’on combine cela avec leur psychologie détaillée, cela confère à cette histoire que un caractère universel, et tout le monde pourrait la vivre. Ou du moins, tout le monde peut la ressentir au point de s’immerger en entier en l’espace de quelques pages.
Mais allons un peu au-delà. Il y a l’histoire, certes, mais il y a aussi l’ambiance. Une jolie fille comme ça est un roman écrit au milieu du siècle dernier, à l’époque des Chester Himes et Raymond Chandler qui apparaissaient en Série Noire de notre côté de l’Atlantique. À l’époque des Orson Welles et Hitchcock pour ce qui est du cinéma. On prend cette esthétique en pleine tête et c’est tout ce qu’on aime. Sauf que là, c’est du vrai, de l’époque, pas de la parodie ou de l’hommage contemporains que l’on peut retrouver et qui se basent quasi-exclusivement sur du cliché employé comme fan service pour faire vibrer notre corde toute sensible. C’est un peu comme faire une brocante pour trouver un pressage original d’un vinyle de Miles Davis au milieu de rééditions tardives. C’est aussi l’intérêt de ce roman, une histoire qui ne cherche pas à raconter ostensiblement son époque, mais qui l’évoque subtilement au travers de son esthétique. Et puis un roman noir aussi intense que pépère de temps en temps, quoi de mieux pour se détendre et apprécier la richesse de style du polar ?
Une jolie fille comme ça est le roman noir à lire en ce moment. C’est le roman dont il faut apprécier la fraîcheur que lui offre sa publication tardive, c’est le roman qui fait du bien sans être « concon », c’est le roman qui prouve que du roman noir peut être publié dans une collection de littérature générale sans que cela fasse fuir le lectorat. C’est le roman qui prouvera aux cyniques et au désabusés que l’amour, c’est vraiment de la merde. Et c’est surtout une conclusion qui fait au choix : réfléchir, peur, ou sourire. C’est superbe. C’est tout.
Une jolie fille comme ça, Alfred Hayes. Gallimard, octobre 2015. 176 p, 17 €
Sur le site de l’éditeur