« Décidément, on va finir par croire que je suis ruralophile ». C’est ce que j’ai pu brièvement me dire à la lecture du roman d’aujourd’hui, alors que j’étais plongé dans l’évocation douce-amère de Vrainville, ses paysages, son histoire mouvementée, ses habitants qui y sont pour beaucoup, ses mensonges et ses secrets. Bien sûr, ce n’est pas le cas. Je ne suis pas spécialement fana de terroir, et la redondance avec Les Salauds devront payer et Rural Noir aurait pu me décourager si je m’étais simplement arrêté aux plus basiques des grandes lignes. Le fait est que les grandes lignes, on se les carre dans le fondement dès le départ. Finies les grandes lignes, il n'y en a plus. Parce que ce roman n’a rien à voir avec les deux autres cités précédemment, rien du tout. Alors si vous êtes toujours d’accord pour délaisser la sempiternelle Suède et autres villes-monstres aseptisées des States, pour découvrir du très très bon en provenance de chez nous, prenez bien note. Parce que Ce qu’il nous faut, c’est un mort va vous botter le cul en toute sobriété.
Tout ça part d’une soirée dont on se rappelle tous, celle du 12 juillet 1998. Les bleus viennent de planter le 3-0 dans la face des brésiliens déconfits et partout en France, la vie de tas de français s’en trouve changée. Certains plus que d’autres, qu’ils en aient totalement conscience ou non. Parmi ces français éparpillés sur le territoire, on trouve Marie, jeune femme sur le point de se faire violer par un psychopathe en puissance, William, rencontrant la future mère de son fils en boîte, sans oublier Vincent, Patrick et Maxime qui prennent la voiture bourrés pour rentrer de leur intense soirée. Ce qu’ils ne savent pas à ce moment, c’est qu’ils seront amenés à tous se recroiser dix-huit ans plus tard à Vrainville, berceau de la marque de lingerie Cybelle et de ses ateliers historiques. Ils ne savent pas non plus que leurs retrouvailles vont être de très mauvais augure pour l’entreprise, la vie des vrainvillois… et pour la personne qu’on retrouvera dans un piteux état.
Si ce résumé semble un poil simpliste ou ressemble à une mauvaise quatrième de couverture refilée au tout dernier moment au stagiaire du service, c'est parce que je ne veux pas risquer de spoiler, d'une part, mais surtout parce que l'histoire est difficile à résumer tant elle est complexe. Tellement plus complexe que ça. Et tout se tient ! Il faut dire que le gros point fort de ce roman – qui est le point fort d'Hervé Commère depuis le début et en particulier pour son précédent, Imagine le reste – c'est la construction. Si l'on résumait ça en un schéma, ça ne ressemblerait à rien de plus qu'un foutoir de lignes et d'annotations. Sauf que c'est justement dosé, plausible et bien amené. On est pris dedans, totalement. Le procédé employé, une ligne temporelle décousue oscillant entre passé et présent, pourrait perdre le lecteur mais non, parce que la narration est impeccable. Je ne vois pas un seul point sur lequel émettre une quelconque réserve. Ce roman est un excellent roman, point barre.
D'ailleurs, plutôt que de parler de technique, j'ai surtout envie de saluer ce livre pour son histoire, ce qu'il raconte ou ce qu'il ne fait qu'évoquer. Il humanise chacun des nombreux personnages, même secondaires, en nous disant d'où ils viennent, en parlant de leurs rêves et des espoirs qui les ont menés là où ils sont. C'est une chose, c'est une belle chose. Mais quand on combine cette chose à l'extraordinaire histoire de la création d'une entreprise familiale, dont la réussite ou la faillite influe directement sur une quantité phénoménale de vies humaines (que, je le rappelle, nous connaissons en détail et dans lesquelles nous nous retrouvons parfois), tout ça donne à ce roman un énorme aspect d'épopée collective. Et c'est au final bien plus qu'un roman social, c'est un roman humain. Une réflexion constante sur la direction que prend notre vie, sur les choix qui la bâtissent. Les regrets qu'il ne faut pas avoir, même s'ils font partie de tout ça. Sur la vie tout court, sur le fait d’aller de l’avant, sur tout ça à la fois en bien écrit, en très bien écrit, en très plaisant, en palpitant, en génial.
J’en avais déjà parlé dans la critique de Concerto pour quatre mains, je vous recommande tout Hervé Commère. Je pense qu’il y a deux parts distinctes dans son œuvre, ses premiers à la trame bien plus polar et d’autant plus percutants parce que plutôt courts, et ses derniers qui portent ce souffle magistral dont il est question ici. Un peu comme un avant et un après Le deuxième homme. De toute façon, vous trouverez forcément votre compte dans un de ses romans. Lisez les dans l’ordre, le désordre, comme vous voudrez mais lisez-en. Ne serait-ce que pour l’inciter à continuer, le pousser à nous combler de joie à chaque fois qu’il poste sur Facebook le nouveau mot « fin » d’un livre à venir. Mais en cours de route, n’oubliez pas de lire Ce qu’il nous faut, c’est un mort, de loin son meilleur selon moi. Un sans faute incroyable. Essayez et vous verrez.
Ce qu’il nous faut, c’est un mort, Hervé Commère. Fleuve Editions, mars 2016. 400 p, 19,90 €.
Sur le site de l’éditeur
Tout ça part d’une soirée dont on se rappelle tous, celle du 12 juillet 1998. Les bleus viennent de planter le 3-0 dans la face des brésiliens déconfits et partout en France, la vie de tas de français s’en trouve changée. Certains plus que d’autres, qu’ils en aient totalement conscience ou non. Parmi ces français éparpillés sur le territoire, on trouve Marie, jeune femme sur le point de se faire violer par un psychopathe en puissance, William, rencontrant la future mère de son fils en boîte, sans oublier Vincent, Patrick et Maxime qui prennent la voiture bourrés pour rentrer de leur intense soirée. Ce qu’ils ne savent pas à ce moment, c’est qu’ils seront amenés à tous se recroiser dix-huit ans plus tard à Vrainville, berceau de la marque de lingerie Cybelle et de ses ateliers historiques. Ils ne savent pas non plus que leurs retrouvailles vont être de très mauvais augure pour l’entreprise, la vie des vrainvillois… et pour la personne qu’on retrouvera dans un piteux état.
Si ce résumé semble un poil simpliste ou ressemble à une mauvaise quatrième de couverture refilée au tout dernier moment au stagiaire du service, c'est parce que je ne veux pas risquer de spoiler, d'une part, mais surtout parce que l'histoire est difficile à résumer tant elle est complexe. Tellement plus complexe que ça. Et tout se tient ! Il faut dire que le gros point fort de ce roman – qui est le point fort d'Hervé Commère depuis le début et en particulier pour son précédent, Imagine le reste – c'est la construction. Si l'on résumait ça en un schéma, ça ne ressemblerait à rien de plus qu'un foutoir de lignes et d'annotations. Sauf que c'est justement dosé, plausible et bien amené. On est pris dedans, totalement. Le procédé employé, une ligne temporelle décousue oscillant entre passé et présent, pourrait perdre le lecteur mais non, parce que la narration est impeccable. Je ne vois pas un seul point sur lequel émettre une quelconque réserve. Ce roman est un excellent roman, point barre.
D'ailleurs, plutôt que de parler de technique, j'ai surtout envie de saluer ce livre pour son histoire, ce qu'il raconte ou ce qu'il ne fait qu'évoquer. Il humanise chacun des nombreux personnages, même secondaires, en nous disant d'où ils viennent, en parlant de leurs rêves et des espoirs qui les ont menés là où ils sont. C'est une chose, c'est une belle chose. Mais quand on combine cette chose à l'extraordinaire histoire de la création d'une entreprise familiale, dont la réussite ou la faillite influe directement sur une quantité phénoménale de vies humaines (que, je le rappelle, nous connaissons en détail et dans lesquelles nous nous retrouvons parfois), tout ça donne à ce roman un énorme aspect d'épopée collective. Et c'est au final bien plus qu'un roman social, c'est un roman humain. Une réflexion constante sur la direction que prend notre vie, sur les choix qui la bâtissent. Les regrets qu'il ne faut pas avoir, même s'ils font partie de tout ça. Sur la vie tout court, sur le fait d’aller de l’avant, sur tout ça à la fois en bien écrit, en très bien écrit, en très plaisant, en palpitant, en génial.
J’en avais déjà parlé dans la critique de Concerto pour quatre mains, je vous recommande tout Hervé Commère. Je pense qu’il y a deux parts distinctes dans son œuvre, ses premiers à la trame bien plus polar et d’autant plus percutants parce que plutôt courts, et ses derniers qui portent ce souffle magistral dont il est question ici. Un peu comme un avant et un après Le deuxième homme. De toute façon, vous trouverez forcément votre compte dans un de ses romans. Lisez les dans l’ordre, le désordre, comme vous voudrez mais lisez-en. Ne serait-ce que pour l’inciter à continuer, le pousser à nous combler de joie à chaque fois qu’il poste sur Facebook le nouveau mot « fin » d’un livre à venir. Mais en cours de route, n’oubliez pas de lire Ce qu’il nous faut, c’est un mort, de loin son meilleur selon moi. Un sans faute incroyable. Essayez et vous verrez.
Ce qu’il nous faut, c’est un mort, Hervé Commère. Fleuve Editions, mars 2016. 400 p, 19,90 €.
Sur le site de l’éditeur