Ça faisait un bout de temps que je n’avais pas lu de polar, la faute à la production récente qui m’attirait presque autant que la pratique de la scatophilie ou la lecture de la Pléiade de Jean d’Ormesson (pléonasme). Depuis quelques mois j’errais sans but, je commençais des polars fades que je ne finissais jamais, et me vengeais en lisant une bonne BD trashouille. Ça me rinçait la tête de tous les sempiternels clichés qu’on est obligé de se farcir quand on gratte un peu la surface d’un polar écrit, et surtout publié, pour ne pas déstabiliser toute une strate de la population attachée à ses petites habitudes. Quand soudain, Gallmeister.
Gallmeister fait partie de cette clique de maisons d’édition que je porte dans mon cœur pour leur travail dingue de publication, des titres d’une qualité trop peu souvent reconnue par le grand public avide de « lecture facile parce qu’en ce moment, les morts, les drames et les retournements de situation, je n’en veux pas ». Étrange concept que l’histoire plate, il faudrait l’inventer. Commercialement parlant, j’entends. Non, Gallmeister s’attache à entretenir une identité forte, basée sur des écritures souvent sèches (natural writing) et des textes qui sentent, ou plutôt puent l’Amérique profonde et le « struggle for life », et d’autant plus quand les personnages n’ont plus rien d’autre à embrasser que la fatalité. Mais c’était aussi une collection de romans policiers délicieux, contemporains ou rééditions de classiques injustement épuisés. Maintenant, c’est aussi une nouvelle collection, Neo Noir, qui met à l’honneur le roman noir, le pur, le vrai. Et je dois dire que ça fait du bien !
Parmi les quatre titres publiés à l’époque, je ne saurais expliquer pourquoi j’ai jeté mon dévolu sur celui-ci. La couleur du titre ? Le titre en lui-même, sûrement, qui semblait plus évocateur que simplement explicite comme Exécutions à Victory ou L’enfer de Church Street qui trônaient à côté. Le résultat, c’est que j’ai compris une fois de plus qu’il faut toujours faire aveuglément confiance à l’éditeur français du grand David Vann.
Cry Father est, pour résumer, une soupe de sang aux morceaux de dents, qu’on fait descendre avec une pinte de bourbon et une ligne de coke par-dessus. On y suit Patterson Wells, déblayeur sur les zones sinistrées, un brin survivaliste sur sa mesa isolée du reste du monde depuis qu’il a perdu son fils à cause de l’imposture d’un médecin douteux. Hormis son chien, il n’a d’autre ami que son voisin Henry, si ce n’est sa réserve personnelle d’alcool qui le fait tenir chaque jour de sa vie, quand il n’écrit pas à son fils décédé dans une tentative désespérée de faire son deuil. Il se bastonne, aussi. Souvent. Parfois dans des bars, parfois chez de vieux amis, comme Chase, qu’il trouve camé à mort et sa « pute » ligotée dans la baignoire. Bref, le quotidien d’un type qui vit comme un fantôme. Plus tard, il trouve Henry blessé après que son propre fils l’a tabassé. Patterson rencontre le dealer froid et violent qu’est Junior, pour fixer les choses à sa manière et le prévenir de ne pas recommencer mais se tisse un lien curieux entre eux, mélange de fascination, d’adrénaline et surtout de tentative pour Patterson de garder Junior à l’œil, voire le canaliser tant qu’il peut. Un alcoolique dépressif et un dealer asocial qui font équipe pour vivre leurs aventures destructrices semées de coke, de baston, d’alcool, de filles, de plus de coke, de plus de baston. De balades tumultueuses dans l’enfer américain.
La force de ce roman réside dans de multiples facteurs, parmi lesquels la qualité de l’écriture. C’est sec et rêche, mais c’est dans la simplicité qu’on reconnait le talent. Chaque mot est placé là où il faut, et la part narrative s’éclipse facilement derrière la place que prend l’intrigue. On s’en fout de savoir ce qui se passe autour, c’est la psychologie des lascars et leurs gestes à eux qui méritent notre attention. Quant aux sentiments plus profonds, Whitmer les réserve pour les lettres bien plus intimes de Patterson à son fils, seul confident digne de savoir ce qui se cache sous la carapace rouillée. Sans trop s’attarder sur l’écriture, disons simplement qu’elle est là pour créer une ambiance, une véritable ambiance, et pas pour une branlette littéraire de plus. A la lecture, il est facile de s’imaginer l’action se dérouler toujours de nuit, dans des bars sombres ou sur les routes. Pas de place pour la lumière dans tout ça. Et surtout, c’est la réalité de l’Amérique torturée qui émane de tout ce foutoir de violence. Les descriptions de nez cassés, de dents brisées qui crissent sur les gencives, de douleur, constamment, ce n’est certainement pas pour faire joli. En même temps que Patterson et Junior, c’est toute l’Amérique puritaine qui réussit qui se prend un coup en pleine tronche, et Whitmer nous révèle ce qu’est la vie, celle qui se passe mal la plupart du temps et qui confine certaines personnes dans leur propre tristesse, sans aucune volonté de s’en sortir. C’est sans doute ça qui fait que ça marche entre eux deux, leur manque d’envie de retrouver une vie normale, leur incapacité à aimer peut-être, et encore moins à faire semblant, leur fuite des responsabilités, leur tendance à l’autodestruction. Les hommes paumés comme eux n’apportent rien de bon, et c’est ce que Cry Father s’applique à nous démontrer page après page.
Alors non, ce roman n’est certainement pas fait pour être une lecture de plage « détendante et facile pour quelqu’un qui est malade et qui veut se changer les idées ». Mais si le talent et les émotions viscérales ne sont pas votre tasse de thé, il vous reste toujours Jean d’Ormesson.
Cry Father, Benjamin Whitmer. Gallmeister, mars 2015. 320 p. 16,50 €
Sur le site de l'éditeur
Gallmeister fait partie de cette clique de maisons d’édition que je porte dans mon cœur pour leur travail dingue de publication, des titres d’une qualité trop peu souvent reconnue par le grand public avide de « lecture facile parce qu’en ce moment, les morts, les drames et les retournements de situation, je n’en veux pas ». Étrange concept que l’histoire plate, il faudrait l’inventer. Commercialement parlant, j’entends. Non, Gallmeister s’attache à entretenir une identité forte, basée sur des écritures souvent sèches (natural writing) et des textes qui sentent, ou plutôt puent l’Amérique profonde et le « struggle for life », et d’autant plus quand les personnages n’ont plus rien d’autre à embrasser que la fatalité. Mais c’était aussi une collection de romans policiers délicieux, contemporains ou rééditions de classiques injustement épuisés. Maintenant, c’est aussi une nouvelle collection, Neo Noir, qui met à l’honneur le roman noir, le pur, le vrai. Et je dois dire que ça fait du bien !
Parmi les quatre titres publiés à l’époque, je ne saurais expliquer pourquoi j’ai jeté mon dévolu sur celui-ci. La couleur du titre ? Le titre en lui-même, sûrement, qui semblait plus évocateur que simplement explicite comme Exécutions à Victory ou L’enfer de Church Street qui trônaient à côté. Le résultat, c’est que j’ai compris une fois de plus qu’il faut toujours faire aveuglément confiance à l’éditeur français du grand David Vann.
Cry Father est, pour résumer, une soupe de sang aux morceaux de dents, qu’on fait descendre avec une pinte de bourbon et une ligne de coke par-dessus. On y suit Patterson Wells, déblayeur sur les zones sinistrées, un brin survivaliste sur sa mesa isolée du reste du monde depuis qu’il a perdu son fils à cause de l’imposture d’un médecin douteux. Hormis son chien, il n’a d’autre ami que son voisin Henry, si ce n’est sa réserve personnelle d’alcool qui le fait tenir chaque jour de sa vie, quand il n’écrit pas à son fils décédé dans une tentative désespérée de faire son deuil. Il se bastonne, aussi. Souvent. Parfois dans des bars, parfois chez de vieux amis, comme Chase, qu’il trouve camé à mort et sa « pute » ligotée dans la baignoire. Bref, le quotidien d’un type qui vit comme un fantôme. Plus tard, il trouve Henry blessé après que son propre fils l’a tabassé. Patterson rencontre le dealer froid et violent qu’est Junior, pour fixer les choses à sa manière et le prévenir de ne pas recommencer mais se tisse un lien curieux entre eux, mélange de fascination, d’adrénaline et surtout de tentative pour Patterson de garder Junior à l’œil, voire le canaliser tant qu’il peut. Un alcoolique dépressif et un dealer asocial qui font équipe pour vivre leurs aventures destructrices semées de coke, de baston, d’alcool, de filles, de plus de coke, de plus de baston. De balades tumultueuses dans l’enfer américain.
La force de ce roman réside dans de multiples facteurs, parmi lesquels la qualité de l’écriture. C’est sec et rêche, mais c’est dans la simplicité qu’on reconnait le talent. Chaque mot est placé là où il faut, et la part narrative s’éclipse facilement derrière la place que prend l’intrigue. On s’en fout de savoir ce qui se passe autour, c’est la psychologie des lascars et leurs gestes à eux qui méritent notre attention. Quant aux sentiments plus profonds, Whitmer les réserve pour les lettres bien plus intimes de Patterson à son fils, seul confident digne de savoir ce qui se cache sous la carapace rouillée. Sans trop s’attarder sur l’écriture, disons simplement qu’elle est là pour créer une ambiance, une véritable ambiance, et pas pour une branlette littéraire de plus. A la lecture, il est facile de s’imaginer l’action se dérouler toujours de nuit, dans des bars sombres ou sur les routes. Pas de place pour la lumière dans tout ça. Et surtout, c’est la réalité de l’Amérique torturée qui émane de tout ce foutoir de violence. Les descriptions de nez cassés, de dents brisées qui crissent sur les gencives, de douleur, constamment, ce n’est certainement pas pour faire joli. En même temps que Patterson et Junior, c’est toute l’Amérique puritaine qui réussit qui se prend un coup en pleine tronche, et Whitmer nous révèle ce qu’est la vie, celle qui se passe mal la plupart du temps et qui confine certaines personnes dans leur propre tristesse, sans aucune volonté de s’en sortir. C’est sans doute ça qui fait que ça marche entre eux deux, leur manque d’envie de retrouver une vie normale, leur incapacité à aimer peut-être, et encore moins à faire semblant, leur fuite des responsabilités, leur tendance à l’autodestruction. Les hommes paumés comme eux n’apportent rien de bon, et c’est ce que Cry Father s’applique à nous démontrer page après page.
Alors non, ce roman n’est certainement pas fait pour être une lecture de plage « détendante et facile pour quelqu’un qui est malade et qui veut se changer les idées ». Mais si le talent et les émotions viscérales ne sont pas votre tasse de thé, il vous reste toujours Jean d’Ormesson.
Cry Father, Benjamin Whitmer. Gallmeister, mars 2015. 320 p. 16,50 €
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