Ah, l’alcool. On lui en met des choses sur le dos, le pauvre. Et pourtant, il est là dans les plus grands moments de notre vie. On boit pour s’intégrer, pour draguer, pour oublier, on boit pour s’ennuyer ou fêter, fêter toujours et rencontrer. On boit avant le mariage, on boit pendant le mariage, on boit tout le reste de sa vie. On boit pour voir, on boit pour arrêter de boire. En un an, on boit dans le monde plus de cent quatre-vingt milliards de litres*, juste de bière, soit trois cent soixante milliards de pintes avalées. Très logiquement, on passe un sacré bout de temps de notre existence le cul rivé sur un tabouret de bar, à attendre qu’il se passe quelque chose. Que nos emmerdes disparaissent ou que l’amour arrive, ça dépend. On attend parce qu’en général, il se passe bien quelque chose, au minimum une petite baston. L’alcool a ce pouvoir, il provoque des trucs. Et si ce n’est que dans notre tête, eh bien tant pis, on aura passé une bonne soirée jusqu’à la gueule de bois du lendemain.
Ça se complique un peu pour le personnage du Jardin du bossu, dont on va parler aujourd’hui. Lui, il passe un moment à boire peinard dans un bar après une bonne journée de boulot, reculant au maximum le moment de rentrer retrouver sa femme, véritable matrone insupportable sauf quand il ramène du fric. Là, elle devient une véritable bête de sexe prête à tout le stupre possible jusqu’à épuisement. Et justement, voilà qu’un con torché comme pas deux paie tournée sur tournée, étale son argent et gueule qu’il a encore plus chez lui, un tiroir de commode plein, rien que du liquide. Bien qu’il soit basé sur l’idée de gauche, notre héros ne crache pas sur une bonne baise bien honteuse, donc il suit le con jusque chez lui et empoche le tiroir pendant qu’il dort. Ouais, sauf qu’il ne dormait pas, et était encore moins bourré. Très poliment, exception faite du flingue pointé sur notre personnage, le con lui annonce qu’il peut garder l’argent, s’il en a suffisamment pris, mais qu’il ne pourra jamais sortir d’ici. Il fera le ménage et entretiendra la maison, voilà son boulot. Et pour commencer, il doit enterrer dans la cave le cadavre atrocement suicidé de son prédécesseur. Bref, on fait mieux, comme soirée. Foutu alcool.
Vous trouvez ça délirant ? Vous pouvez. Et je dirais même que vous n’y êtes pas encore tout à fait. Je vais résumer le personnage principal en vrac, comme ça. Il est prolo, bien prolo, mais est persuadé de transcender sa classe en étant poète, le gars fait des alexandrins comme il pète dans son fute. Et la comparaison est choisie. Il s’imagine digne successeur de Rimbaud, au vu de son talent pour faire rimer « but » et « cul ». Il est basé sur l’idée de gauche, et il le martèle, bordel, il est de gauche. Mais s’il faut se plier à l’amour de l’argent parce que ça rend sa femme lubrique, alors ce n’est pas totalement du capitalisme, pas vrai ? En parlant de ça, il a une très haute opinion de sa femme, décrite comme ultra-vénale, bête, juste bonne à faire la cuisine parce que la pauvre est con comme ses pieds et que tout ce qu’elle a appris à l’école, c’est tenir une maison. Mais il l’aime, elle est conne et elle ne partira pas à sa recherche, croyant qu’il est parti chercher du fric, mais il l’aime. Et puis il est vraiment, vraiment très poli, pas un mot plus haut que l’autre pour ne pas froisser son ravisseur, le seul à comprendre l’étendue de son génie et le considérer comme ce qu’il est : un véritable poète, artiste révolutionnaire qui bouleversera les Lettres au XXe siècle. Un petit syndrome de Stockholm couplé à une politesse outrancière et un langage fleuri qui en font un véritable personnage grotesque. Un type qui nous fait marrer.
Il faut dire que les situations s’y prêtent aussi, entre ses tentatives d’évasion et ses visionnages forcés d’archives de téléachat pendant des journées entières. Tout est prétexte au gag permanent, pour finalement nous faire passer un excellent moment de lecture. Sauf que, eh bien, attention. Gardez à l’esprit que vous n’êtes pas totalement dans du divertissement, aussi drôle et absurde soit-il. Franz Bartelt peut aussi se montrer machiavélique et détruire en quelques secondes tout l’univers que vous vous étiez construit. Parce que c’est ça, un bon roman. Celui qui vous fait regarder un bateau au loin pour vous baisser furtivement le froc. Le genre de blague qui sent le moisi, mais dont on ne prévoit jamais la chute. Et dans le genre, Le Jardin du bossu est champion.
Que ce soit dans son style vulgos et drolatique, comme une brève de comptoir qui n’en finit plus de nous faire marrer tellement le mec est atteint, ou dans sa construction qui étonne finalement, Le Jardin du bossu est de ces bouquins sur lesquels on aime bien tomber, de temps en temps. C’est suffisamment absurde pour être singulier, la pause est bienvenue. Et c’est justement pour ça qu’on apprécie tout le talent de Franz Bartelt. Après, que les péripéties de son personnage ne vous empêchent surtout pas de boire de l’alcool. Ça reste l’une des composantes majeures de notre société, que ferait-on sans ? Il suffit de voir le nombre d’anniversaires qu’il y a en septembre pour comprendre qu’on est souvent conçus bourrés au nouvel an. Au contraire, servez-vous une pinte, installez vous confortablement et lisez ce roman en sirotant de temps à autre. Si vous n’êtes pas convaincus, recommencez. Ça viendra.
Le Jardin du bossu, Franz Bartelt. Folio Policier, août 2006. 240 p, 7,70 €.
Sur le site de l’éditeur
* Source : Kirin's Food and Lifestyle Report Vol. 33 (http://goo.gl/qe0Wwk)
Ça se complique un peu pour le personnage du Jardin du bossu, dont on va parler aujourd’hui. Lui, il passe un moment à boire peinard dans un bar après une bonne journée de boulot, reculant au maximum le moment de rentrer retrouver sa femme, véritable matrone insupportable sauf quand il ramène du fric. Là, elle devient une véritable bête de sexe prête à tout le stupre possible jusqu’à épuisement. Et justement, voilà qu’un con torché comme pas deux paie tournée sur tournée, étale son argent et gueule qu’il a encore plus chez lui, un tiroir de commode plein, rien que du liquide. Bien qu’il soit basé sur l’idée de gauche, notre héros ne crache pas sur une bonne baise bien honteuse, donc il suit le con jusque chez lui et empoche le tiroir pendant qu’il dort. Ouais, sauf qu’il ne dormait pas, et était encore moins bourré. Très poliment, exception faite du flingue pointé sur notre personnage, le con lui annonce qu’il peut garder l’argent, s’il en a suffisamment pris, mais qu’il ne pourra jamais sortir d’ici. Il fera le ménage et entretiendra la maison, voilà son boulot. Et pour commencer, il doit enterrer dans la cave le cadavre atrocement suicidé de son prédécesseur. Bref, on fait mieux, comme soirée. Foutu alcool.
Vous trouvez ça délirant ? Vous pouvez. Et je dirais même que vous n’y êtes pas encore tout à fait. Je vais résumer le personnage principal en vrac, comme ça. Il est prolo, bien prolo, mais est persuadé de transcender sa classe en étant poète, le gars fait des alexandrins comme il pète dans son fute. Et la comparaison est choisie. Il s’imagine digne successeur de Rimbaud, au vu de son talent pour faire rimer « but » et « cul ». Il est basé sur l’idée de gauche, et il le martèle, bordel, il est de gauche. Mais s’il faut se plier à l’amour de l’argent parce que ça rend sa femme lubrique, alors ce n’est pas totalement du capitalisme, pas vrai ? En parlant de ça, il a une très haute opinion de sa femme, décrite comme ultra-vénale, bête, juste bonne à faire la cuisine parce que la pauvre est con comme ses pieds et que tout ce qu’elle a appris à l’école, c’est tenir une maison. Mais il l’aime, elle est conne et elle ne partira pas à sa recherche, croyant qu’il est parti chercher du fric, mais il l’aime. Et puis il est vraiment, vraiment très poli, pas un mot plus haut que l’autre pour ne pas froisser son ravisseur, le seul à comprendre l’étendue de son génie et le considérer comme ce qu’il est : un véritable poète, artiste révolutionnaire qui bouleversera les Lettres au XXe siècle. Un petit syndrome de Stockholm couplé à une politesse outrancière et un langage fleuri qui en font un véritable personnage grotesque. Un type qui nous fait marrer.
Il faut dire que les situations s’y prêtent aussi, entre ses tentatives d’évasion et ses visionnages forcés d’archives de téléachat pendant des journées entières. Tout est prétexte au gag permanent, pour finalement nous faire passer un excellent moment de lecture. Sauf que, eh bien, attention. Gardez à l’esprit que vous n’êtes pas totalement dans du divertissement, aussi drôle et absurde soit-il. Franz Bartelt peut aussi se montrer machiavélique et détruire en quelques secondes tout l’univers que vous vous étiez construit. Parce que c’est ça, un bon roman. Celui qui vous fait regarder un bateau au loin pour vous baisser furtivement le froc. Le genre de blague qui sent le moisi, mais dont on ne prévoit jamais la chute. Et dans le genre, Le Jardin du bossu est champion.
Que ce soit dans son style vulgos et drolatique, comme une brève de comptoir qui n’en finit plus de nous faire marrer tellement le mec est atteint, ou dans sa construction qui étonne finalement, Le Jardin du bossu est de ces bouquins sur lesquels on aime bien tomber, de temps en temps. C’est suffisamment absurde pour être singulier, la pause est bienvenue. Et c’est justement pour ça qu’on apprécie tout le talent de Franz Bartelt. Après, que les péripéties de son personnage ne vous empêchent surtout pas de boire de l’alcool. Ça reste l’une des composantes majeures de notre société, que ferait-on sans ? Il suffit de voir le nombre d’anniversaires qu’il y a en septembre pour comprendre qu’on est souvent conçus bourrés au nouvel an. Au contraire, servez-vous une pinte, installez vous confortablement et lisez ce roman en sirotant de temps à autre. Si vous n’êtes pas convaincus, recommencez. Ça viendra.
Le Jardin du bossu, Franz Bartelt. Folio Policier, août 2006. 240 p, 7,70 €.
Sur le site de l’éditeur
* Source : Kirin's Food and Lifestyle Report Vol. 33 (http://goo.gl/qe0Wwk)