Bordel. S’enfiler la Rentrée Littéraire, quelle tannée. Oui, une putain de tannée. Comprenez-bien : pour les libraires comme pour les autres métiers de prescription, il est vital que la lecture reste un plaisir. On n’ouvre pas un livre par obligation, au risque que la lecture devienne progressivement une punition. Ou du travail, si vous préférez. Car ensuite viennent la panne, le manque d’envie, la culpabilité et tout ça. La lecture n’est pas censée être un crève-cul. Et pourtant, chaque année, les libraires partent pour leur rare session de vacances avec une valise remplie de livres choisis sur des critères ridiculement aléatoires, et se forcent à les lire le plus rapidement possible, parce que c’est pro, parce qu’on est obligés. Et sachant que dans le lot, une bonne pelletée a été écrite pour le blé ou pour se la péter au repas de famille, autrement dit écrite à la pisse, la corvée devient de plus en plus épuisante. Donc on laisse tomber, puis on y revient et on s’en dégoute encore plus, on laisse tomber de nouveau, tout ça pour qu’une fois encore, il soit bien trop tard pour s’y mettre quand la conscience professionnelle ou la résignation se repointent. Le même cirque chaque année. La Rentrée n’est pas une fête de la littérature, c’est un boulet que tout le monde s’accroche, dans l’édition et la librairie, simplement parce que les autres sujets du groupe le font eux aussi. Un réflexe nauséabond de mimétisme auquel tout… oh… mais… attendez voir. Serait-ce un bon livre que je tiens dans mes mains ? Serait-ce ce fameux « Livre de la Rentrée » qui me sauve chaque année, qui me fait conserver ma santé mentale et m’enlève des mains le briquet et la bouteille d’essence ?
Oui, chers amis. Le voici. Et comme par hasard, la délivrance vient de chez Gallmeister. Il va vraiment falloir que je pense à leur envoyer des fleurs et une petite culotte sale.
Alors. Parlons donc du Verger de marbre, qui suit un jeune homme du nom de Beam Sheetmire, rejeton d’une famille du Kentucky à laquelle il n’arrive pas à s’identifier. Ni le village ni l’économie actuelle ne lui permettent d’avoir un grand espoir de futur mais, heureusement pour lui, Beam n’a pas vraiment d’ambition et veut juste reprendre le ferry déglingué de ses parents. Une nuit, alors qu’il en est aux commandes, il embarque un voyageur louche qui tente de lui piquer la caisse. Réflexe, un coup de clé en pleine poire et l’homme meurt. Sans lui donner plus d’explication, son père lui ordonne de fuir sans réfléchir. Car ce que Beam ignore, c’est que l’homme étalé à ses pieds était le fils de Loat Duncan, caïd local craint par tous, à raison. Beam fuit, sans trop savoir où. Le problème, c’est qu’il sait que Loat est à ses trousses. Il entend déjà les chiens aboyer.
Une chose à propos de ce roman, déjà : il est foutrement bien écrit. Ça regorge de descriptions qui prennent leur temps et sont pourtant superbement rythmées. Un flux de style fait pour emporter le lecteur dans ce monde violent comme on l’aime, roots et sacrément crade. Où qu’on aille, cimetière ou rade en bord de route, tout sent la survie comme mot d’ordre. Les gens font ce qu’ils peuvent. Ils arnaquent ou ils se prostituent, ils entretiennent un ferry pas rentable ou font tout pour justifier leur misérable paie. Tout n’est que survie, vraiment. Leur condition suinte d’autant plus à travers les dialogues, superbes eux aussi car véritables. Pas du dialogue de cinoche à la con, de vraies discussions de paumés directes, franches, et cassantes. Pour ce qui saute immédiatement à la lecture, à savoir le style, on est conquis. Pas de doute là-dessus. Alex Taylor est très bon.
Voilà donc pourquoi on est totalement emporté au premier abord. Parce que soyons francs, l’histoire qu’on découvre pendant les premières pages ne donne pas l’impression de lire quelque chose de nouveau. Ou d’original. Un type bute un gus, le père gangster du gus veut le buter, le type s’enfuit. Ce n’est qu’au fil de la lecture, élément après élément qu’on comprend un truc. On lit quelque chose de surprenant. Dans les personnages, d’abord. Ils sont rares, les très bons polars qui mettent en scène des personnages aussi loufoques que le camionneur en costard, qui semble ne livrer sa cargaison à personne, et dont les savoirs et les compétences sortent de nulle part, par exemple. Ce camionneur apporte un élément de tension indéniable. Parce qu’il est bizarre, déjà, et surtout parce qu’il est très bien amené par Alex Taylor. On y croit à ce personnage improbable. Et c’est justement pour ça qu’on se méfie ! Tout est surprenant dans la construction de ce roman, même ce qu’on pense deviner avant que le roman nous le dise, même quand on croit cramer un élément et qu’on pense l’histoire prévisible, ça ne sert à rien. Et surtout… Eh bien, vous verrez. Si vous me dites que vous n’avez pas été surpris par Le verger de marbre, c’est que vous ne l’aurez pas lu jusqu’à la toute fin. De toute façon, ça se verra tout de suite. Vous n’aurez pas la marque de la gifle sur votre joue.
Pour être honnête, je voulais lire Le Verger de marbre sans le critiquer, parce que les publications de Gallmeister se retrouvent souvent par ici, et je voulais laisser une chance à d’autres éditeurs, d’autres auteurs. Je voulais élargir. Manque de bol, ou véritable loi des séries, la grosse majorité de ce que j’ai lu pour cette Rentrée Littéraire était tellement faible voire complètement daubée que ce livre fait figure d’exception dès le début. Alors qu’il paraît ne pas être fondamentalement différent lorsqu’on l’aborde, c’est véritablement un roman d’excellente qualité qui joue avec le lecteur comme avec ses personnages, un livre surprenant et fabuleux qui sauve ma Rentrée. Oui, qui la sauve. Et qui se pose là pour les suivants, d’ailleurs. Alex Taylor, c’est une superbe copie, mais c’est pas très gentil pour tes petits camarades qui vont se faire basher après toi. La moindre des choses serait d’envoyer un mot d’excuse à tous. Et muscle-toi le poignet, y’en aura un paquet.
Le Verger de marbre, Alex Taylor. Gallmeister, août 2016. 288p, 20 €.
Sur le site de l’éditeur
Oui, chers amis. Le voici. Et comme par hasard, la délivrance vient de chez Gallmeister. Il va vraiment falloir que je pense à leur envoyer des fleurs et une petite culotte sale.
Alors. Parlons donc du Verger de marbre, qui suit un jeune homme du nom de Beam Sheetmire, rejeton d’une famille du Kentucky à laquelle il n’arrive pas à s’identifier. Ni le village ni l’économie actuelle ne lui permettent d’avoir un grand espoir de futur mais, heureusement pour lui, Beam n’a pas vraiment d’ambition et veut juste reprendre le ferry déglingué de ses parents. Une nuit, alors qu’il en est aux commandes, il embarque un voyageur louche qui tente de lui piquer la caisse. Réflexe, un coup de clé en pleine poire et l’homme meurt. Sans lui donner plus d’explication, son père lui ordonne de fuir sans réfléchir. Car ce que Beam ignore, c’est que l’homme étalé à ses pieds était le fils de Loat Duncan, caïd local craint par tous, à raison. Beam fuit, sans trop savoir où. Le problème, c’est qu’il sait que Loat est à ses trousses. Il entend déjà les chiens aboyer.
Une chose à propos de ce roman, déjà : il est foutrement bien écrit. Ça regorge de descriptions qui prennent leur temps et sont pourtant superbement rythmées. Un flux de style fait pour emporter le lecteur dans ce monde violent comme on l’aime, roots et sacrément crade. Où qu’on aille, cimetière ou rade en bord de route, tout sent la survie comme mot d’ordre. Les gens font ce qu’ils peuvent. Ils arnaquent ou ils se prostituent, ils entretiennent un ferry pas rentable ou font tout pour justifier leur misérable paie. Tout n’est que survie, vraiment. Leur condition suinte d’autant plus à travers les dialogues, superbes eux aussi car véritables. Pas du dialogue de cinoche à la con, de vraies discussions de paumés directes, franches, et cassantes. Pour ce qui saute immédiatement à la lecture, à savoir le style, on est conquis. Pas de doute là-dessus. Alex Taylor est très bon.
Voilà donc pourquoi on est totalement emporté au premier abord. Parce que soyons francs, l’histoire qu’on découvre pendant les premières pages ne donne pas l’impression de lire quelque chose de nouveau. Ou d’original. Un type bute un gus, le père gangster du gus veut le buter, le type s’enfuit. Ce n’est qu’au fil de la lecture, élément après élément qu’on comprend un truc. On lit quelque chose de surprenant. Dans les personnages, d’abord. Ils sont rares, les très bons polars qui mettent en scène des personnages aussi loufoques que le camionneur en costard, qui semble ne livrer sa cargaison à personne, et dont les savoirs et les compétences sortent de nulle part, par exemple. Ce camionneur apporte un élément de tension indéniable. Parce qu’il est bizarre, déjà, et surtout parce qu’il est très bien amené par Alex Taylor. On y croit à ce personnage improbable. Et c’est justement pour ça qu’on se méfie ! Tout est surprenant dans la construction de ce roman, même ce qu’on pense deviner avant que le roman nous le dise, même quand on croit cramer un élément et qu’on pense l’histoire prévisible, ça ne sert à rien. Et surtout… Eh bien, vous verrez. Si vous me dites que vous n’avez pas été surpris par Le verger de marbre, c’est que vous ne l’aurez pas lu jusqu’à la toute fin. De toute façon, ça se verra tout de suite. Vous n’aurez pas la marque de la gifle sur votre joue.
Pour être honnête, je voulais lire Le Verger de marbre sans le critiquer, parce que les publications de Gallmeister se retrouvent souvent par ici, et je voulais laisser une chance à d’autres éditeurs, d’autres auteurs. Je voulais élargir. Manque de bol, ou véritable loi des séries, la grosse majorité de ce que j’ai lu pour cette Rentrée Littéraire était tellement faible voire complètement daubée que ce livre fait figure d’exception dès le début. Alors qu’il paraît ne pas être fondamentalement différent lorsqu’on l’aborde, c’est véritablement un roman d’excellente qualité qui joue avec le lecteur comme avec ses personnages, un livre surprenant et fabuleux qui sauve ma Rentrée. Oui, qui la sauve. Et qui se pose là pour les suivants, d’ailleurs. Alex Taylor, c’est une superbe copie, mais c’est pas très gentil pour tes petits camarades qui vont se faire basher après toi. La moindre des choses serait d’envoyer un mot d’excuse à tous. Et muscle-toi le poignet, y’en aura un paquet.
Le Verger de marbre, Alex Taylor. Gallmeister, août 2016. 288p, 20 €.
Sur le site de l’éditeur