Aujourd’hui, chers amis, j’ai l’impression d’avoir fait une connerie. Laissez-moi résumer la situation. Connaissez-vous Mirobole ? Vous avez tout intérêt à répondre oui, ou vous précipiter sur le catalogue de cette merveilleuse maison d’édition bordelaise spécialisée en polar et fantastique. Une maison qui je garde dans mes chouchous numéros 1 – bien que je n’aie pas encore parlé d’elle sur ce blog – pour la qualité de ses textes et sa vive intelligence de ne publier que sporadiquement pour privilégier cette qualité à la quantité. Et vous savez que j’aime ça. Enfin, retenez une chose : Mirobole, c’est vachement bien. Tellement bien qu’elle a publié un texte absolument oufissime il y a maintenant trois ans, un texte à ce point hors-normes qu’il reste avec L’Apocalypse des Homards dans mon Panthéon personnel des découvertes littéraires les plus hallucinantes, un livre si riche et perturbant, si excellent que c’en est un extrait qui figure en bannière de Mon Cul pour faire partie de son identité visuelle.
Déjà là, vous devriez vous faire une petite idée d’à quel point ce livre compte pour moi. Alors, par un pur élan de stratégie moisie, j’avais choisi de ne pas parler de ce livre jusqu'à ce que j’aie une audience suffisante pour qu’un faible pourcentage de celle-ci puisse se jeter dessus comme une meute de poulpes enragés. Une longue attente, très longue attente, presque culpabilisante. Quand soudain, j’appris une chose terrible. Les Furies de Borås est sorti en poche. Alors je vois que ce vous direz, « Mais pourquoi te plains-tu, bordel à queue ? Ce n’est pas comme s’il était épuisé, et il sera même plus abordable pour le plus grand nombre, maintenant ». Mais oui mais non. Non seulement la couverture du poche est laide, mais c’est à Mirobole, qui a pris le risque en premier, à qui je veux rendre hommage ! Quel cas de conscience, bon sang…
Mais oublions ça quelques instants pour présenter cette perle poisseuse, ce spécimen velu. Les Furies de Borås est un recueil de nouvelles fantastiques et horrifiques sélectionnées parmi l’œuvre de « l’ex-dyslexique, ex-punk, ex-geek » Anders Fager. Dans son univers, la Suède est le théâtre d’évènements fantastiques tous plus réalistes les uns que les autres. Enfin, réalistes. C’est sûr qu’une histoire de fantôme ou de perte de la raison semble toujours plus « réaliste » à nos yeux qu’une fable à propos d’un géant arbre mort armé de tentacules et se servant d’un groupe de jeunes filles sanguinaires à la recherche d’un homme à baiser sauvagement dans la forêt pour le lui offrir en sacrifice. Non, je ne parle pas de « réaliste » dans le sens « réalisable ». Plutôt « crédible ». Anders Fager a le chic pour nous plonger totalement dans ses récits, très rapidement. La faute à son style simple mais de toute beauté. Un style qu’il sait adapter et modifier à chacune des nouvelles, ce qui est d’autant plus remarquable. On passera ainsi d’une nouvelle écrite presque intégralement en dialogues à une autre où le personnage, un enfant en école primaire, est le narrateur et raconte le monde exactement comme il le voit. Une superbe nouvelle, hyper réaliste une fois de plus, où la retranscription des pensées d’un gamin, ayant inventé un jeu avec une cavité dans la falaise qu’il s’amuse à nourrir, est une prouesse absolue.
Et ce style ultra-maîtrisé de Fager va être en grande partie responsable du fait que beaucoup de ces nouvelles nous dérangent, résultat d’un mélange puissamment dosé de malsain, de sexy et de poisseux. Celle avec l’extra-terrestre qui débarque sur Terre affaibli et se met à la recherche de « petits cœurs » à absorber, c’est dérangeant. Celle à propos du suicide collectif spontané et inexplicable d’un grand nombre de personnes âgées est dérangeante. Même celle sur les fameuses « Furies de Borås » servantes de l’arbre mort à tentacules, bien que sexy, est quand même dérangeante. Le summum reste surtout la nouvelle « Trois semaines de bonheur » qui est à ce jour la nouvelle la plus glauque, et qui m’a foutu le plus grand malaise, de tout ce qui m’ait été donné de lire jusqu’ici. On y suit Malin, une jeune femme tenant une boutique d’aquariophilie et élevant tout un tas d’espèces différentes. La jeune Malin vit recluse d’une part parce qu’elle ne comprend pas véritablement les humains, et d’autre part parce qu’elle est atteinte d’une tripotée de maladies de peau. Elle passe son temps à se gratter, se démanger, s’arracher de la peau, s’enduire de crème, retirer ses vêtements qui s’accrochent à son eczéma, à gonfler, à comparer son visage à de la chair à saucisse… quand elle n’explique pas entre deux irritations ses fantasmes avec des anguilles. Le truc, c’est que j’ai envie d’expliquer encore plus en quoi c’est dérangeant, mais ce serait spoiler. Mais merde, c’est déjà assez perturbant comme ça, non ?
Parce que voilà un autre atout majeur de ce recueil : les chutes, ou du moins la tournure que prennent les nouvelles, sont toujours impossibles à prédire. Et c’est pourquoi il m’est difficile de vous en parler dans le détail, par pur respect envers vous. Mais sans déconner, ce qui commence doucement et normalement finira toujours par virer au vinaigre soit progressivement, ce qui est horrible pour le lecteur impuissant, soit d’un seul coup comme une bonne gifle dans la tronche. Les Furies de Borås, c’est une pure bombe. Et si vous le découvrez dans son édition de poche, soit. Mais laissez quand même un mot à l’éditeur à la fin de votre odyssée littéraire. Juste pour leur prouver collectivement que leur travail est magique. Qu’on les aime. Que dis-je ? Qu’on les loue comme le Messager.
Les Furies de Borås, Anders Fager. Mirobole, janvier 2013. 352 p, 21,50 €. (Pocket, janvier 2016. 378 p, 7,70 € pour l’édition de poche)
Sur le site de l’éditeur
Déjà là, vous devriez vous faire une petite idée d’à quel point ce livre compte pour moi. Alors, par un pur élan de stratégie moisie, j’avais choisi de ne pas parler de ce livre jusqu'à ce que j’aie une audience suffisante pour qu’un faible pourcentage de celle-ci puisse se jeter dessus comme une meute de poulpes enragés. Une longue attente, très longue attente, presque culpabilisante. Quand soudain, j’appris une chose terrible. Les Furies de Borås est sorti en poche. Alors je vois que ce vous direz, « Mais pourquoi te plains-tu, bordel à queue ? Ce n’est pas comme s’il était épuisé, et il sera même plus abordable pour le plus grand nombre, maintenant ». Mais oui mais non. Non seulement la couverture du poche est laide, mais c’est à Mirobole, qui a pris le risque en premier, à qui je veux rendre hommage ! Quel cas de conscience, bon sang…
Mais oublions ça quelques instants pour présenter cette perle poisseuse, ce spécimen velu. Les Furies de Borås est un recueil de nouvelles fantastiques et horrifiques sélectionnées parmi l’œuvre de « l’ex-dyslexique, ex-punk, ex-geek » Anders Fager. Dans son univers, la Suède est le théâtre d’évènements fantastiques tous plus réalistes les uns que les autres. Enfin, réalistes. C’est sûr qu’une histoire de fantôme ou de perte de la raison semble toujours plus « réaliste » à nos yeux qu’une fable à propos d’un géant arbre mort armé de tentacules et se servant d’un groupe de jeunes filles sanguinaires à la recherche d’un homme à baiser sauvagement dans la forêt pour le lui offrir en sacrifice. Non, je ne parle pas de « réaliste » dans le sens « réalisable ». Plutôt « crédible ». Anders Fager a le chic pour nous plonger totalement dans ses récits, très rapidement. La faute à son style simple mais de toute beauté. Un style qu’il sait adapter et modifier à chacune des nouvelles, ce qui est d’autant plus remarquable. On passera ainsi d’une nouvelle écrite presque intégralement en dialogues à une autre où le personnage, un enfant en école primaire, est le narrateur et raconte le monde exactement comme il le voit. Une superbe nouvelle, hyper réaliste une fois de plus, où la retranscription des pensées d’un gamin, ayant inventé un jeu avec une cavité dans la falaise qu’il s’amuse à nourrir, est une prouesse absolue.
Et ce style ultra-maîtrisé de Fager va être en grande partie responsable du fait que beaucoup de ces nouvelles nous dérangent, résultat d’un mélange puissamment dosé de malsain, de sexy et de poisseux. Celle avec l’extra-terrestre qui débarque sur Terre affaibli et se met à la recherche de « petits cœurs » à absorber, c’est dérangeant. Celle à propos du suicide collectif spontané et inexplicable d’un grand nombre de personnes âgées est dérangeante. Même celle sur les fameuses « Furies de Borås » servantes de l’arbre mort à tentacules, bien que sexy, est quand même dérangeante. Le summum reste surtout la nouvelle « Trois semaines de bonheur » qui est à ce jour la nouvelle la plus glauque, et qui m’a foutu le plus grand malaise, de tout ce qui m’ait été donné de lire jusqu’ici. On y suit Malin, une jeune femme tenant une boutique d’aquariophilie et élevant tout un tas d’espèces différentes. La jeune Malin vit recluse d’une part parce qu’elle ne comprend pas véritablement les humains, et d’autre part parce qu’elle est atteinte d’une tripotée de maladies de peau. Elle passe son temps à se gratter, se démanger, s’arracher de la peau, s’enduire de crème, retirer ses vêtements qui s’accrochent à son eczéma, à gonfler, à comparer son visage à de la chair à saucisse… quand elle n’explique pas entre deux irritations ses fantasmes avec des anguilles. Le truc, c’est que j’ai envie d’expliquer encore plus en quoi c’est dérangeant, mais ce serait spoiler. Mais merde, c’est déjà assez perturbant comme ça, non ?
Parce que voilà un autre atout majeur de ce recueil : les chutes, ou du moins la tournure que prennent les nouvelles, sont toujours impossibles à prédire. Et c’est pourquoi il m’est difficile de vous en parler dans le détail, par pur respect envers vous. Mais sans déconner, ce qui commence doucement et normalement finira toujours par virer au vinaigre soit progressivement, ce qui est horrible pour le lecteur impuissant, soit d’un seul coup comme une bonne gifle dans la tronche. Les Furies de Borås, c’est une pure bombe. Et si vous le découvrez dans son édition de poche, soit. Mais laissez quand même un mot à l’éditeur à la fin de votre odyssée littéraire. Juste pour leur prouver collectivement que leur travail est magique. Qu’on les aime. Que dis-je ? Qu’on les loue comme le Messager.
Les Furies de Borås, Anders Fager. Mirobole, janvier 2013. 352 p, 21,50 €. (Pocket, janvier 2016. 378 p, 7,70 € pour l’édition de poche)
Sur le site de l’éditeur