Les États-Unis sont littérairement intéressants. En matière de polar, entre autre. Leur mentalité suprématiste est capable d’accoucher de thrillers lisses et atroces à la gloire de la Nation, comme de romans noirs contestataires dégueulant le patriotisme par tous les trous pour montrer qu’entre les morceaux du dernier repas de famille réactionnaire se trouve une bile acide qui ne pardonne rien. C’est sans doute pour ça qu’on les aime. Qu’on les aime un peu trop, par moments. Finalement, la France et son goût du déni général est aussi un terrain fertile pour ce genre de choses. Sans être un extrême, l’exemple d’aujourd’hui démontre une fois de plus que la beauté du polar se trouve dans le plus sombre des héritages, dans la misère et la rancœur qui se cachent sous la grandeur d’une nation, d’une région, d’un peuple, à condition qu’on gratte un peu.
Si vous n’avez jamais lu Emmanuel Grand, alors oubliez ce que je m’apprête à dire, quittez ce blog, téléchargez « Amazon Killer », filez sur le géant exploiteur et achetez Terminus Belz. C’est tout. Pour les autres, parlons un peu du nouveau bébé de ce jeune auteur français qui en veut. L’intrigue des Salauds devront payer débute véritablement dans le nord de la France, dans une petite ville du nom de Wollaing située non loin de la frontière avec la Belgique. Comme une bonne partie des anciennes villes ouvrières du Nord, Wollaing se traîne un lourd passé de désindustrialisation, de grèves, de plans sociaux, tout ce qu’il faut pour te foutre une région dans le rouge brique niveau chômage et pauvreté. C’est dans ce contexte que fructifient les sites internet de prêt douteux, toujours prêts à donner sans regarder mais beaucoup plus zélés quand il s’agit de récupérer les mensualités. C’est sans doute le cas de Pauline, jeune fille retrouvée morte après avoir emprunté 50 000 euros qu’elle n’a pas pu rembourser. Enfin, c’est ce que tout le monde pense en ville. Il faut dire que les deux gros bras qui se chargent de recouvrer les dettes n’en sont pas à leur premier tabassage par ici. Mais le commandant Buchmeyer, chargé de l’enquête, ne semble pas véritablement de cet avis. Pour lui, beaucoup de choses se cachent derrière ce meurtre, des choses anciennes, des restes de rancunes hantant les rescapés d’une époque ne demandant qu’à être oubliée.
Le cœur du roman va donc être cette merveilleuse région Nord, ses habitants, son histoire, sa ruralité, ses problèmes économiques, ses mouvements sociaux, tout ce qui fait qu’un polar bien de chez nous – trop de chez nous, presque – peut être dépaysant. On est emportés par le sens de la narration d'Emmanuel Grand, posé, sans empressement. Ça nous permet de nous sentir un peu oppressés par la pauvreté du coin. Le pauvre gars dont les rêves d’auto-entrepreneur se trouvent brisés quand il est obligé de vendre son taxi pour rembourser ses dettes, la jeunesse sans avenir pour laquelle le seul véritable exemple est celui qui a crée sa propre baraque à frites, le désert béant qu'à laissé l'usine à sa fermeture. Sans être un huis clos, le sentiment de fatalité qui se dégage de la solitude et des espoirs morts nous enferme nous aussi dans ce lieu à mi-chemin entre le paradis et l'enfer. Un roman noir social, aucune meilleure définition que celle-ci. Et ça devient encore meilleur lorsque l'enquête de Buchmeyer l'amène à fouiller dans le passé de l'usine et de ses acteurs principaux. Ça prend des airs de cold cases rouvertes sans faire plaisir à personne. La ville devient pesante, les habitants suspects. On se regarde de travers. La tension monte.
Le seul reproche que j'aurais à faire à ce roman est son issue, ou plutôt, le stratagème mettant en place l'issue qui est beaucoup, beaucoup trop énorme. Le truc, c'est qu'en tant que lecteurs de polar assidus, vous serez obligés de cramer l'info quand vous la lirez. C'est inévitable. Alors, pourquoi m'emmerdé-je à vous parler de ce livre si la fin est évidente, dites-moi ? Parce qu'on s'en tamponne, voilà. L'art de la narration d'Emmanuel Grand, sa plongée dans la désindustrialisation plus que difficile du Nord et l'ambiance lourde du village de Wollaing suffisent pour qu'on passe un excellent moment. C'est presque l'inverse, le fait que l'on devine assez aisément qui est l'assassin apporte une sorte de fatalité à l'intrigue. On a envie de hurler qui c'est, de choper Buchmeyer par les cheveux et de lui faire regarder dans la bonne direction, mais non. La tragédie se joue sous nos yeux sans qu'on ne puisse rien y faire. Et c'est ça qui est génial, bon sang.
Finalement, mystère éventé ou pas, on ne peut pas s’empêcher d'avoir une énorme tendresse pour Les Salauds devront payer. Pas le même genre de tendresse qu'on accorde aux nanars, loin de là. Soyons bien d'accord, ce roman est un bon roman, et pour tous les novices ou lecteurs occasionnels de polar, il faudra être bien malin pour voir venir la fin. Le fait est qu'Emmanuel Grand, en restant dans le cadre du polar "rural" qu'il avait expérimenté avec l'excellent Terminus Belz, a su évoluer, changer complètement d'intrigue et de problématique. Voilà les raisons de la tendresse que je porte à ce roman : ce qu'il est, un roman très agréable et bien écrit, et ce qu'il augure pour la suite. Un homme qui a accouché de Terminus Belz comme premier roman ne pourra que nous étonner par la suite. Garanti.
Les salauds devront payer, Emmanuel Grand. Liana Levi, janvier 2016. 384 p, 20 €
Sur le site de l’éditeur
Si vous n’avez jamais lu Emmanuel Grand, alors oubliez ce que je m’apprête à dire, quittez ce blog, téléchargez « Amazon Killer », filez sur le géant exploiteur et achetez Terminus Belz. C’est tout. Pour les autres, parlons un peu du nouveau bébé de ce jeune auteur français qui en veut. L’intrigue des Salauds devront payer débute véritablement dans le nord de la France, dans une petite ville du nom de Wollaing située non loin de la frontière avec la Belgique. Comme une bonne partie des anciennes villes ouvrières du Nord, Wollaing se traîne un lourd passé de désindustrialisation, de grèves, de plans sociaux, tout ce qu’il faut pour te foutre une région dans le rouge brique niveau chômage et pauvreté. C’est dans ce contexte que fructifient les sites internet de prêt douteux, toujours prêts à donner sans regarder mais beaucoup plus zélés quand il s’agit de récupérer les mensualités. C’est sans doute le cas de Pauline, jeune fille retrouvée morte après avoir emprunté 50 000 euros qu’elle n’a pas pu rembourser. Enfin, c’est ce que tout le monde pense en ville. Il faut dire que les deux gros bras qui se chargent de recouvrer les dettes n’en sont pas à leur premier tabassage par ici. Mais le commandant Buchmeyer, chargé de l’enquête, ne semble pas véritablement de cet avis. Pour lui, beaucoup de choses se cachent derrière ce meurtre, des choses anciennes, des restes de rancunes hantant les rescapés d’une époque ne demandant qu’à être oubliée.
Le cœur du roman va donc être cette merveilleuse région Nord, ses habitants, son histoire, sa ruralité, ses problèmes économiques, ses mouvements sociaux, tout ce qui fait qu’un polar bien de chez nous – trop de chez nous, presque – peut être dépaysant. On est emportés par le sens de la narration d'Emmanuel Grand, posé, sans empressement. Ça nous permet de nous sentir un peu oppressés par la pauvreté du coin. Le pauvre gars dont les rêves d’auto-entrepreneur se trouvent brisés quand il est obligé de vendre son taxi pour rembourser ses dettes, la jeunesse sans avenir pour laquelle le seul véritable exemple est celui qui a crée sa propre baraque à frites, le désert béant qu'à laissé l'usine à sa fermeture. Sans être un huis clos, le sentiment de fatalité qui se dégage de la solitude et des espoirs morts nous enferme nous aussi dans ce lieu à mi-chemin entre le paradis et l'enfer. Un roman noir social, aucune meilleure définition que celle-ci. Et ça devient encore meilleur lorsque l'enquête de Buchmeyer l'amène à fouiller dans le passé de l'usine et de ses acteurs principaux. Ça prend des airs de cold cases rouvertes sans faire plaisir à personne. La ville devient pesante, les habitants suspects. On se regarde de travers. La tension monte.
Le seul reproche que j'aurais à faire à ce roman est son issue, ou plutôt, le stratagème mettant en place l'issue qui est beaucoup, beaucoup trop énorme. Le truc, c'est qu'en tant que lecteurs de polar assidus, vous serez obligés de cramer l'info quand vous la lirez. C'est inévitable. Alors, pourquoi m'emmerdé-je à vous parler de ce livre si la fin est évidente, dites-moi ? Parce qu'on s'en tamponne, voilà. L'art de la narration d'Emmanuel Grand, sa plongée dans la désindustrialisation plus que difficile du Nord et l'ambiance lourde du village de Wollaing suffisent pour qu'on passe un excellent moment. C'est presque l'inverse, le fait que l'on devine assez aisément qui est l'assassin apporte une sorte de fatalité à l'intrigue. On a envie de hurler qui c'est, de choper Buchmeyer par les cheveux et de lui faire regarder dans la bonne direction, mais non. La tragédie se joue sous nos yeux sans qu'on ne puisse rien y faire. Et c'est ça qui est génial, bon sang.
Finalement, mystère éventé ou pas, on ne peut pas s’empêcher d'avoir une énorme tendresse pour Les Salauds devront payer. Pas le même genre de tendresse qu'on accorde aux nanars, loin de là. Soyons bien d'accord, ce roman est un bon roman, et pour tous les novices ou lecteurs occasionnels de polar, il faudra être bien malin pour voir venir la fin. Le fait est qu'Emmanuel Grand, en restant dans le cadre du polar "rural" qu'il avait expérimenté avec l'excellent Terminus Belz, a su évoluer, changer complètement d'intrigue et de problématique. Voilà les raisons de la tendresse que je porte à ce roman : ce qu'il est, un roman très agréable et bien écrit, et ce qu'il augure pour la suite. Un homme qui a accouché de Terminus Belz comme premier roman ne pourra que nous étonner par la suite. Garanti.
Les salauds devront payer, Emmanuel Grand. Liana Levi, janvier 2016. 384 p, 20 €
Sur le site de l’éditeur