Faillir être flingué, 3h10 pour Yuma, Incident à Twenty-Mile, Les Frères Sisters… Le roman noir, ce n’est pas que de l’imperméable, du semi-automatique et de la barre à mine. C’est aussi de l’ouest lointain. Et quand on lit ou regarde des chefs-d’œuvre du western, l’envie prend souvent de considérer que ce genre serait un sous-ensemble du Noir à la sauce « bottes à éperons ». C’est vrai quoi, les figures torturées et l’alcool frelaté qui délie les gorges pour déclencher les bagarres de maisons closes, il n’y a qu’à changer d’époque pour se croire dans un Chandler. Bref, le western, c’est cool et il n’y a aucune raison de se priver. Aujourd’hui, petit truc en plus : on va y rajouter de la prestidigitation en plus du lot habituel, tout ça pour donner l’un des meilleurs romans que Grasset a publié ces derniers temps. Mais bon, ce n’est pas un avis objectif. C’est juste qu’on aime bien quand ça tabasse après la picole.
Le roman dont on va parler est le retour tonitruant de Glenn Taylor qui avait déjà cartonné avec Un Homme loyal il y a quelques années et La Ballade de Gueule-Tranchée, qu’on vous recommande tous les deux. Pour Pendaison à Cinder Bottom, on part pour la ville de Keystone au début du siècle dernier, le jour de la pendaison d’Abe Baach et sa femme Goldie Toothman. Ils s’apprêtent à déclarer leurs derniers mots lorsque l’on repart en arrière pour comprendre ce qui les a menés sur l’échafaud. Abe Baach est l’un des rejetons d’Al Baach, juif allemand immigré et tenancier de saloon dans lequel Goldie lance des cartes. Abe donne dans la magie de cartes lui aussi et, accessoirement, joue au poker comme un Dieu, au point de se tailler une solide réputation et de s’attirer des ennuis. C’est un concours de circonstances à base de machination qui le fait fuir Keystone sans même dire au revoir à sa famille ni à Goldie. Ce n’est que quelques années plus tard, lorsqu’il reçoit un télégramme annonçant que son frère est en train de mourir des suites de coups de feu, qu’Abe Baach sait qu’il doit retourner à Cinder Bottom, le quartier chaud de Keystone. Il doit venger son frère, son père déplumé par le magnat local et traiter avec de vieux ennemis.
Tous les ingrédients du western sont réunis dans ce roman qui pue le souvenir lointain de la dernière douche et la vengeance. A ceci près, cependant, que ça ne sent pas la testostérone à outrance. Je m'explique. Ne cherchez pas de fusillade à tout-va et de bastons burnées à chaque chapitre, tout n'est que lourde tension entre personnages et ruse, manipulations. Ça se passe plutôt dans la tête que dans le barillet. D'où le côté bien plus "roman noir" que "western spaghetti". Et le top du top, c'est ce personnage d'Abe Baach, qui charrie son héritage familial un poil chargé, les rancunes de son père qu'il comprend sans vraiment les faire systématiquement siennes et sa violente peine de cœur qui fondera son histoire. Ce personnage est étonnant dans son côté marginal. Ce n'est pas un homme à femmes et n'avait jamais couché qu'avec Goldie avant qu'on le piège pour le forcer à fuir, par exemple. Ou encore l'admiration béate qu'il provoque, la légende qui porte son nom simplement grâce à ses parties de cartes audacieuses plutôt que d'éventuels bourre-pif d'anthologie. C'est un petit malin, un cérébral talentueux bien différent d'un gros dur, une légende vivante qui pourrait faire tomber n'importe quelle vierge effarouchée et qui, pourtant, ne vivra que pour sa femme Goldie.
Mais je l'ai répété récemment, que serait-un bon roman sans un bon style ? Si Pendaison à Cinder Bottom est aussi prenant et plaisant, c'est aussi pour ça, après tout. Pour son style à la fois simple et précis, au langage parfois désuet et aux belles phrases qui font mal. Mention spéciale à l'inventivité de l'auteur pour la pléthore de synonymes de "bite". Eh oui, une phrase comme "Sens ton totem", ça ne s'invente pas et ça a toujours son petit effet. Mais ce serait moche de le réduire à ça. La langue est belle, prenante, le champ lexical des jeux de cartes et des cartes elles-mêmes apporte à l'ambiance et c'est plaisant à lire, putain. Pourquoi pinailler, dans ce cas ?
Le pinaillage n'a pas lieu d'être, Pendaison à Cinder Bottom est un excellent roman, point barre. Encore un bel exemple de mélange de genres bienvenu capable de fédérer tous les goûts en matière d’intrigue, de personnages mystérieux, d’ambiance, d’action et de style littéraire. Et c’est tout ce qu’il y a à en dire, il est parfait. Alors plutôt que de me crever le cul à meubler quand tout est déjà dit, je préfère vous laisser sur cette vive recommandation : lisez Pendaison à Cinder Bottom, lisez Glenn Taylor. Pour ma part, j’ai une furieuse envie de retourner m’acheter des jeux de rider back comme des paquets de clopes. Et fissa.
Pendaison à Cinder Bottom, Glenn Taylor. Grasset, mai 2016. 384p, 22 €.
Sur le site de l’éditeur
Le roman dont on va parler est le retour tonitruant de Glenn Taylor qui avait déjà cartonné avec Un Homme loyal il y a quelques années et La Ballade de Gueule-Tranchée, qu’on vous recommande tous les deux. Pour Pendaison à Cinder Bottom, on part pour la ville de Keystone au début du siècle dernier, le jour de la pendaison d’Abe Baach et sa femme Goldie Toothman. Ils s’apprêtent à déclarer leurs derniers mots lorsque l’on repart en arrière pour comprendre ce qui les a menés sur l’échafaud. Abe Baach est l’un des rejetons d’Al Baach, juif allemand immigré et tenancier de saloon dans lequel Goldie lance des cartes. Abe donne dans la magie de cartes lui aussi et, accessoirement, joue au poker comme un Dieu, au point de se tailler une solide réputation et de s’attirer des ennuis. C’est un concours de circonstances à base de machination qui le fait fuir Keystone sans même dire au revoir à sa famille ni à Goldie. Ce n’est que quelques années plus tard, lorsqu’il reçoit un télégramme annonçant que son frère est en train de mourir des suites de coups de feu, qu’Abe Baach sait qu’il doit retourner à Cinder Bottom, le quartier chaud de Keystone. Il doit venger son frère, son père déplumé par le magnat local et traiter avec de vieux ennemis.
Tous les ingrédients du western sont réunis dans ce roman qui pue le souvenir lointain de la dernière douche et la vengeance. A ceci près, cependant, que ça ne sent pas la testostérone à outrance. Je m'explique. Ne cherchez pas de fusillade à tout-va et de bastons burnées à chaque chapitre, tout n'est que lourde tension entre personnages et ruse, manipulations. Ça se passe plutôt dans la tête que dans le barillet. D'où le côté bien plus "roman noir" que "western spaghetti". Et le top du top, c'est ce personnage d'Abe Baach, qui charrie son héritage familial un poil chargé, les rancunes de son père qu'il comprend sans vraiment les faire systématiquement siennes et sa violente peine de cœur qui fondera son histoire. Ce personnage est étonnant dans son côté marginal. Ce n'est pas un homme à femmes et n'avait jamais couché qu'avec Goldie avant qu'on le piège pour le forcer à fuir, par exemple. Ou encore l'admiration béate qu'il provoque, la légende qui porte son nom simplement grâce à ses parties de cartes audacieuses plutôt que d'éventuels bourre-pif d'anthologie. C'est un petit malin, un cérébral talentueux bien différent d'un gros dur, une légende vivante qui pourrait faire tomber n'importe quelle vierge effarouchée et qui, pourtant, ne vivra que pour sa femme Goldie.
Mais je l'ai répété récemment, que serait-un bon roman sans un bon style ? Si Pendaison à Cinder Bottom est aussi prenant et plaisant, c'est aussi pour ça, après tout. Pour son style à la fois simple et précis, au langage parfois désuet et aux belles phrases qui font mal. Mention spéciale à l'inventivité de l'auteur pour la pléthore de synonymes de "bite". Eh oui, une phrase comme "Sens ton totem", ça ne s'invente pas et ça a toujours son petit effet. Mais ce serait moche de le réduire à ça. La langue est belle, prenante, le champ lexical des jeux de cartes et des cartes elles-mêmes apporte à l'ambiance et c'est plaisant à lire, putain. Pourquoi pinailler, dans ce cas ?
Le pinaillage n'a pas lieu d'être, Pendaison à Cinder Bottom est un excellent roman, point barre. Encore un bel exemple de mélange de genres bienvenu capable de fédérer tous les goûts en matière d’intrigue, de personnages mystérieux, d’ambiance, d’action et de style littéraire. Et c’est tout ce qu’il y a à en dire, il est parfait. Alors plutôt que de me crever le cul à meubler quand tout est déjà dit, je préfère vous laisser sur cette vive recommandation : lisez Pendaison à Cinder Bottom, lisez Glenn Taylor. Pour ma part, j’ai une furieuse envie de retourner m’acheter des jeux de rider back comme des paquets de clopes. Et fissa.
Pendaison à Cinder Bottom, Glenn Taylor. Grasset, mai 2016. 384p, 22 €.
Sur le site de l’éditeur