Il y a quelques semaines, pour la critique des Salauds devront payer, j’ai parlé du potentiel énorme du roman régional pour la matière qu’il peut apporter au polar. J’avais surtout appuyé sur le policier, j’entends par là le roman d’enquête, dont l’intrigue était centrée autour des flics, tentant d’éclaircir le mystère d’un meurtre dans un village qu’ils ne connaissent pas ou peu. Que se passe-t-il alors, quand une sale histoire, ayant pour décor un bled encore plus reculé qu’une ancienne ville subissant la désindustrialisation – un village paumé, trou du cul de la Nièvre – est vécue par ses habitants eux-mêmes ? Des habitants tout aussi pauvres, plus manuels qu’intellectuels, habitués à régler leurs problèmes par leurs propres moyens d'autant que les forces de l’ordre ont partagé les mêmes bancs de l’école communale. Plus enclines à fermer les yeux, donc. Ça craint rien que d'y penser. Voilà où je veux en venir : la ruralité française dans ce qu’elle a de plus profond n’est pas bonne qu’à engendrer du polar. Elle peut être aussi un méchant catalyseur de Noir. Le pur, qui vient du bide. Quel meilleur titre alors pour le livre dont on va parler aujourd’hui que "Rural noir", titre qui pose ses couilles sur la table en chêne avant même que vous n’ayez compris de quoi il s’agissait.
A vrai dire, ça semble plutôt simple au départ. Romain, trentenaire fan de bon gros Rock, revient dans sa Nièvre natale qu’il a fuie pendant une quinzaine d’années. Il compte y retrouver les membres de son « gang », sa bande d’amis d’enfance qui compte son frère Chris, la belle Julie et son meilleur ami Vlad avec qui ils étaient inséparables, "capitaine" et "général". Les retrouvailles sont un tantinet compliquées pour des tas de raisons diverses. Entre autre, son frère lui reproche de l'avoir abandonné après la mort de leurs parents. Mais peu importe. Romain apprend que son frère est maintenant marié avec Julie, qui attend un enfant. L'occasion est superbe pour tout oublier et repartir de l'avant. Pour ça, ils vont chercher Vlad, le dernier. Sauf qu'il vient de se faire passer à tabac dans les règles de l'art et qu'il ne sortira peut-être pas de son coma. Pire, Romain apprend que ça a certainement un rapport avec le fait que Vlad est à la tête de tout le trafic de la région. Ça fait beaucoup à avaler pour Romain. Dans l'immédiat, il faut digérer. La vengeance pour réparation viendra plus tard. Bientôt.
Laissez-moi vous prévenir dès le départ que ce bouquin poutre à mort. Je le dis parce qu'après avoir lu les critiques ultra-positives qui pullulaient sur internet, j'ai été très indécis pendant la première trentaine de pages, qui servent juste à présenter les personnages, principaux comme secondaires. C'est nécessaire, voilà. Mais lorsque l'action commence, vous vous embarquez dans une petite bombe littéraire qui vous fera regretter de faire des pauses. En gros, ça commence lorsque vient le premier flashback. L'un des énormes arguments de Rural noir, c'est que l'intrigue est découpée entre événements présents et flashbacks du temps de la jeunesse du "gang". Des souvenirs qui évidemment, ont une importance énorme pour la lecture de ce qui passe dans le présent et sont dévoilés petit à petit, savamment dosés. Oui, c'est terriblement bien fait. Non seulement ce stratagème contribue au plaisir de lecture parce qu'il nous fait participer – il confirme, infirme, notre jugement sur tel ou tel personnage de façon discrète – mais il permet aussi de compliquer l’intrigue présente à foison, car les liens entre les personnages et leurs actions passées n’ont pas besoin d’être rappelés sans cesse. Et en plus, on a l’impression de lire deux histoires. Deux intrigues noires imbriquées qu’on a plaisir à retrouver tour à tour, des époques différentes pour des conséquences inévitables.
Finalement, oublié le doute originel, Rural noir se lit à un rythme du tonnerre, propulsé par sa bande-son dopé au Motörhead, AC/DC, Metallica et tout ce qui fait d’une simple balade en vélo une chevauchée héroïque. L’écriture cogne, les personnages aussi, au sens propre comme au figuré. Le souffle de l’amitié éternelle, s’il s’est amoindri à cause de rudes mises à l’épreuve, est toujours présent sous la forme d’une mélancolie profonde, viscérale. Comme si on regardait de vieilles photos d’une époque formidable en sachant que nous ne pourrions pas la revivre au risque de la gâcher, sauf qu’en plus, ce n’est pas nous qu’elles représenteraient. La mélancolie d’un autre. On a tous quelque part vécu ces sentiments dont Benoît Minville nous abreuve, et c’est sûrement pour ça que Rural noir parle autant. La drogue et la cambrousse, au final, ce n’est qu’un prétexte pour en faire un roman noir qui tient la route et qui défonce. Mais il aurait aussi bien pu s’en passer que ça serait resté aussi génial. C’est ça, avoir le sens du récit. C’est bluffant.
Une fois de plus, Rural noir aura été un roman que je qualifie complètement de surprise. Un livre qui nous surprend à s’améliorer de plus en plus à mesure qu’on approche du dénouement, et qui devient encore meilleur après. Un roman qui donnera à tous envie de quelque chose de différent : retourner à la campagne pour les uns, recontacter des vieux amis pour d’autres, ressortir sa veste à patch, picoler en repensant à l’idiot du village (on en a tous eu au moins un). Épousseter ses vinyles. Trier ses photos de classe. Méditer, confiant, sur le très beau futur du polar français, un verre de rouge qui tâche à la main et des souvenirs plein la tête.
Rural noir, Benoît Minville. Gallimard, février 2016. 256 p. 18 €.
Sur le site de l’éditeur
A vrai dire, ça semble plutôt simple au départ. Romain, trentenaire fan de bon gros Rock, revient dans sa Nièvre natale qu’il a fuie pendant une quinzaine d’années. Il compte y retrouver les membres de son « gang », sa bande d’amis d’enfance qui compte son frère Chris, la belle Julie et son meilleur ami Vlad avec qui ils étaient inséparables, "capitaine" et "général". Les retrouvailles sont un tantinet compliquées pour des tas de raisons diverses. Entre autre, son frère lui reproche de l'avoir abandonné après la mort de leurs parents. Mais peu importe. Romain apprend que son frère est maintenant marié avec Julie, qui attend un enfant. L'occasion est superbe pour tout oublier et repartir de l'avant. Pour ça, ils vont chercher Vlad, le dernier. Sauf qu'il vient de se faire passer à tabac dans les règles de l'art et qu'il ne sortira peut-être pas de son coma. Pire, Romain apprend que ça a certainement un rapport avec le fait que Vlad est à la tête de tout le trafic de la région. Ça fait beaucoup à avaler pour Romain. Dans l'immédiat, il faut digérer. La vengeance pour réparation viendra plus tard. Bientôt.
Laissez-moi vous prévenir dès le départ que ce bouquin poutre à mort. Je le dis parce qu'après avoir lu les critiques ultra-positives qui pullulaient sur internet, j'ai été très indécis pendant la première trentaine de pages, qui servent juste à présenter les personnages, principaux comme secondaires. C'est nécessaire, voilà. Mais lorsque l'action commence, vous vous embarquez dans une petite bombe littéraire qui vous fera regretter de faire des pauses. En gros, ça commence lorsque vient le premier flashback. L'un des énormes arguments de Rural noir, c'est que l'intrigue est découpée entre événements présents et flashbacks du temps de la jeunesse du "gang". Des souvenirs qui évidemment, ont une importance énorme pour la lecture de ce qui passe dans le présent et sont dévoilés petit à petit, savamment dosés. Oui, c'est terriblement bien fait. Non seulement ce stratagème contribue au plaisir de lecture parce qu'il nous fait participer – il confirme, infirme, notre jugement sur tel ou tel personnage de façon discrète – mais il permet aussi de compliquer l’intrigue présente à foison, car les liens entre les personnages et leurs actions passées n’ont pas besoin d’être rappelés sans cesse. Et en plus, on a l’impression de lire deux histoires. Deux intrigues noires imbriquées qu’on a plaisir à retrouver tour à tour, des époques différentes pour des conséquences inévitables.
Finalement, oublié le doute originel, Rural noir se lit à un rythme du tonnerre, propulsé par sa bande-son dopé au Motörhead, AC/DC, Metallica et tout ce qui fait d’une simple balade en vélo une chevauchée héroïque. L’écriture cogne, les personnages aussi, au sens propre comme au figuré. Le souffle de l’amitié éternelle, s’il s’est amoindri à cause de rudes mises à l’épreuve, est toujours présent sous la forme d’une mélancolie profonde, viscérale. Comme si on regardait de vieilles photos d’une époque formidable en sachant que nous ne pourrions pas la revivre au risque de la gâcher, sauf qu’en plus, ce n’est pas nous qu’elles représenteraient. La mélancolie d’un autre. On a tous quelque part vécu ces sentiments dont Benoît Minville nous abreuve, et c’est sûrement pour ça que Rural noir parle autant. La drogue et la cambrousse, au final, ce n’est qu’un prétexte pour en faire un roman noir qui tient la route et qui défonce. Mais il aurait aussi bien pu s’en passer que ça serait resté aussi génial. C’est ça, avoir le sens du récit. C’est bluffant.
Une fois de plus, Rural noir aura été un roman que je qualifie complètement de surprise. Un livre qui nous surprend à s’améliorer de plus en plus à mesure qu’on approche du dénouement, et qui devient encore meilleur après. Un roman qui donnera à tous envie de quelque chose de différent : retourner à la campagne pour les uns, recontacter des vieux amis pour d’autres, ressortir sa veste à patch, picoler en repensant à l’idiot du village (on en a tous eu au moins un). Épousseter ses vinyles. Trier ses photos de classe. Méditer, confiant, sur le très beau futur du polar français, un verre de rouge qui tâche à la main et des souvenirs plein la tête.
Rural noir, Benoît Minville. Gallimard, février 2016. 256 p. 18 €.
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