Aujourd’hui, apprenons à nous méfier des biographies d’auteurs et à reconnaître les indicateurs d’un bon livre ou d’une merde sans nom. Un exemple évident pour commencer. « C'est dès son plus jeune âge que la Japonaise Marie Kondo se passionne pour les intérieurs ordonnés et les espaces bien rangés. Elle se met alors à pratiquer un rangement assidu dans sa chambre, puis dans les autres pièces de la maison familiale. » Bouse. Évident, je l’ai dit. « Florence Servan-Schreiber, formée à la psychologie humaniste et au développement durable en Californie, exerce le métier de professeur de bonheur auprès du grand public et des entreprises françaises. » Bouse, tout ça est assez facile. « Clayton Lindemuth, né dans le Michigan, a grandi dans l’ouest rural de la Pennsylvanie et étudié à l’Arizona State University. Désormais établi à Chesterfield, Missouri, il travaille dans les assurances et, quand il n’écrit pas, il s’entraîne pour le marathon. » Un assureur marathonien, on aura tout vu. Bouse ? Non, loin de là. Eh, je n’ai pas dit qu’au terme de cet exercice vous sauriez déceler tous les pièges. Je dis juste qu’il faut se méfier. Ce que cette biographie nous apprend en revanche, c’est qu’Une contrée paisible et froide est un premier roman. Ben oui, pas la peine de tourner autour du pot et de parler des hobbies d’un auteur quand il a derrière lui deux romans qu’on peut citer. Mais… quel premier roman ! Boudiou.
Niveau histoire, on se retrouve plongés dans la bourgade paumée de Bittersmith, Wyoming, en plein hiver 1971. On fait d’emblée connaissance avec le personnage du shérif, personnage pour le moins délicieux. Il y a parfois une justice, et le shérif se retrouve mis à la porte après toute une vie de services rendus, remplacé par un jeunot trop fougueux pour avoir sa sagesse à lui. C’est donc son dernier jour, et le voilà appelé sur une scène de crime, une vraie, chose rare par là-bas. Le corps de Burt Haudesert, père de famille et fermier, est retrouvé avec une fourche plantée dans la gorge au milieu de sa grange. Sa fille Gwen encore adolescente a disparue, ainsi que le jeune homme du nom de Gale G’Wain qui travaillait pour Haudesert. Rien de plus simple, pour le shérif. Gale tue Burt, puis enlève la fille, ou lui fait croire qu’il l’aime et la manipule, peu importe. Toujours est-il que c’est le blizzard là-dehors, le plus gros depuis un sacré bout de temps, et que Gwen est visiblement partie avec une seule chaussure et sans manteau. Le shérif le sait : trouver Gale, ramener Gwen si possible, c’est prouver sa valeur. Et si ça ne l’aide pas à rester à son poste, ce sera au moins un énorme doigt d’honneur à tous ceux qui l’ont foutu dehors.
Ainsi démarre un polar rural de toute beauté basé sur une course contre la montre. Ce qui en fait sa force d’ailleurs, c’est sa construction, qui alterne les chapitres vus par le shérif et ceux vus par Gale G’Wain en cavale. Si c’est intelligent, c’est non seulement parce qu’on se dit qu’en fait, Gale n’a pas l’air si horrible et si dénué de morale que ça, mais surtout parce que dans aucune des versions, Gwen n’est là. Gale en parle, il dit qu’ils ont fui ensemble, effectivement, que c’était ce qui était prévu et ce qu’ils ont fait, mais ensuite ? Ensuite, rien. On ne saisit pas bien ce qui a pu se passer pour qu’il soit seul à s’enfuir à présent. Pas le choix, on va devoir suivre son récit des évènements pour le savoir, même si on n’aime pas du tout ce qu’on lit à mesure qu’il se souvient de tout. Sans rentrer dans le détail, on commence à y voir plus clair sur les intentions de Gale, on commence à compatir, à s’identifier et même à approuver le meurtre. On est donc tiraillés entre l’envie que Gale s’en sorte, celle que justice soit quand même rendue, mais pas par ce bonhomme antipathique qu’est le shérif, on a envie de savoir comment ça va se finir et comprendre pourquoi, bordel de merde, Gwen n’est pas en train de s’enfuir avec Gale. Et c’est au final tout le village de Bittersmith qui semble avoir un côté obscur, chacun des habitants jusqu’au dernier, y compris Gale qui n’était pas originaire du bled mais qui s’est fait corrompre par lui. A moins que…
D’ailleurs, j’ai rapidement mis la main sur ce qui m’avait plu dans Une contrée paisible et froide. Il y a la construction et le rythme, bien sûr, mais il y a surtout un petit côté Stephen King qui n’est pas sans me titiller le haricot. Gwen possède un don que je n’ai pas encore expliqué, qui est celui d’entendre une « musique », un chant de crapauds-buffles, lorsqu’une personne de son entourage va mourir. Elle ne sait pas vraiment s’en servir, commence lentement à vivre avec et le maîtriser à mesure que le phénomène se produit. Il y a donc ça, qui rappelle tous ces personnages doués de pouvoirs psychiques chez King, en particulier Johnny Smith dans Dead Zone qui possède un pouvoir d’intuition. Mais s’il n’y avait que ça, ce serait faire un parallèle publicitaire à la limite du honteux. C’est surtout ce côté « thriller rural », qui le rappelle. Le goût des étendues désertes et de la campagne profonde, les fermes reculées qui ont un parfum de liberté quand l’été est là et un sale relent de prison quand la neige coupe de tout et laisse l’esprit vagabonder entre ses différents cauchemars. Et je rajouterais bien une dernière caractéristique, à savoir l’intrigue simple et efficace. Merde, il n’y a pas besoin de trente personnages et de retournements de situation capillotractés pour faire une bonne intrigue. Un homme est tué, un autre est en cavale, et la fille qui fait le lien entre les deux n’est nulle part. Un poil de profondeur dans les personnalités et de côtés sombres, une nature qui engloutit tout le monde et amincit l’espoir de retrouver la fille vivante… Les voilà, les ingrédients qui font de ce roman un excellent roman.
Et je ne sais pas si je serai le seul à faire ce rapprochement avec Stephen King, mais je salue l’intelligence de l’éditeur de ne pas l’avoir fait, dans cette idée de publicité putassière qu’on avale à l’entonnoir, aujourd’hui. On compare Lindemuth à Donald Ray Pollock parce que c’est mérité et qu’il faut bien argumenter auprès du lectorat pour présenter un auteur encore inconnu, mais merci au Seuil de ne pas s’être fait piéger par la King-prostitution. Présenter un auteur comme une tête d’affiche à l’instar d’une autre tête d’affiche bankable peut avoir son effet chez les lecteurs qui ne cherchent pas trop à comprendre, mais personnellement, ça me fait vomir. Si Clayton Lindemuth avait été le énième nouveau Stephen King, je n’aurais même pas ouvert le roman. Je n’aurais jamais découvert ce petit bijou glacé. Et je ne vous en aurais pas parlé aujourd’hui. Peut-être qu’à la place, je vous aurais parlé du nouveau Grangé, du nouveau Pobi, qui sait ? Du nouveau Millénium, pourquoi pas ? Ça m’aurait fait mal, tiens…
Une contrée paisible et froide, Clayton Lindemuth. Seuil policiers, septembre 2015. 352 p, 21,50 €
Sur le site de l’éditeur
Niveau histoire, on se retrouve plongés dans la bourgade paumée de Bittersmith, Wyoming, en plein hiver 1971. On fait d’emblée connaissance avec le personnage du shérif, personnage pour le moins délicieux. Il y a parfois une justice, et le shérif se retrouve mis à la porte après toute une vie de services rendus, remplacé par un jeunot trop fougueux pour avoir sa sagesse à lui. C’est donc son dernier jour, et le voilà appelé sur une scène de crime, une vraie, chose rare par là-bas. Le corps de Burt Haudesert, père de famille et fermier, est retrouvé avec une fourche plantée dans la gorge au milieu de sa grange. Sa fille Gwen encore adolescente a disparue, ainsi que le jeune homme du nom de Gale G’Wain qui travaillait pour Haudesert. Rien de plus simple, pour le shérif. Gale tue Burt, puis enlève la fille, ou lui fait croire qu’il l’aime et la manipule, peu importe. Toujours est-il que c’est le blizzard là-dehors, le plus gros depuis un sacré bout de temps, et que Gwen est visiblement partie avec une seule chaussure et sans manteau. Le shérif le sait : trouver Gale, ramener Gwen si possible, c’est prouver sa valeur. Et si ça ne l’aide pas à rester à son poste, ce sera au moins un énorme doigt d’honneur à tous ceux qui l’ont foutu dehors.
Ainsi démarre un polar rural de toute beauté basé sur une course contre la montre. Ce qui en fait sa force d’ailleurs, c’est sa construction, qui alterne les chapitres vus par le shérif et ceux vus par Gale G’Wain en cavale. Si c’est intelligent, c’est non seulement parce qu’on se dit qu’en fait, Gale n’a pas l’air si horrible et si dénué de morale que ça, mais surtout parce que dans aucune des versions, Gwen n’est là. Gale en parle, il dit qu’ils ont fui ensemble, effectivement, que c’était ce qui était prévu et ce qu’ils ont fait, mais ensuite ? Ensuite, rien. On ne saisit pas bien ce qui a pu se passer pour qu’il soit seul à s’enfuir à présent. Pas le choix, on va devoir suivre son récit des évènements pour le savoir, même si on n’aime pas du tout ce qu’on lit à mesure qu’il se souvient de tout. Sans rentrer dans le détail, on commence à y voir plus clair sur les intentions de Gale, on commence à compatir, à s’identifier et même à approuver le meurtre. On est donc tiraillés entre l’envie que Gale s’en sorte, celle que justice soit quand même rendue, mais pas par ce bonhomme antipathique qu’est le shérif, on a envie de savoir comment ça va se finir et comprendre pourquoi, bordel de merde, Gwen n’est pas en train de s’enfuir avec Gale. Et c’est au final tout le village de Bittersmith qui semble avoir un côté obscur, chacun des habitants jusqu’au dernier, y compris Gale qui n’était pas originaire du bled mais qui s’est fait corrompre par lui. A moins que…
D’ailleurs, j’ai rapidement mis la main sur ce qui m’avait plu dans Une contrée paisible et froide. Il y a la construction et le rythme, bien sûr, mais il y a surtout un petit côté Stephen King qui n’est pas sans me titiller le haricot. Gwen possède un don que je n’ai pas encore expliqué, qui est celui d’entendre une « musique », un chant de crapauds-buffles, lorsqu’une personne de son entourage va mourir. Elle ne sait pas vraiment s’en servir, commence lentement à vivre avec et le maîtriser à mesure que le phénomène se produit. Il y a donc ça, qui rappelle tous ces personnages doués de pouvoirs psychiques chez King, en particulier Johnny Smith dans Dead Zone qui possède un pouvoir d’intuition. Mais s’il n’y avait que ça, ce serait faire un parallèle publicitaire à la limite du honteux. C’est surtout ce côté « thriller rural », qui le rappelle. Le goût des étendues désertes et de la campagne profonde, les fermes reculées qui ont un parfum de liberté quand l’été est là et un sale relent de prison quand la neige coupe de tout et laisse l’esprit vagabonder entre ses différents cauchemars. Et je rajouterais bien une dernière caractéristique, à savoir l’intrigue simple et efficace. Merde, il n’y a pas besoin de trente personnages et de retournements de situation capillotractés pour faire une bonne intrigue. Un homme est tué, un autre est en cavale, et la fille qui fait le lien entre les deux n’est nulle part. Un poil de profondeur dans les personnalités et de côtés sombres, une nature qui engloutit tout le monde et amincit l’espoir de retrouver la fille vivante… Les voilà, les ingrédients qui font de ce roman un excellent roman.
Et je ne sais pas si je serai le seul à faire ce rapprochement avec Stephen King, mais je salue l’intelligence de l’éditeur de ne pas l’avoir fait, dans cette idée de publicité putassière qu’on avale à l’entonnoir, aujourd’hui. On compare Lindemuth à Donald Ray Pollock parce que c’est mérité et qu’il faut bien argumenter auprès du lectorat pour présenter un auteur encore inconnu, mais merci au Seuil de ne pas s’être fait piéger par la King-prostitution. Présenter un auteur comme une tête d’affiche à l’instar d’une autre tête d’affiche bankable peut avoir son effet chez les lecteurs qui ne cherchent pas trop à comprendre, mais personnellement, ça me fait vomir. Si Clayton Lindemuth avait été le énième nouveau Stephen King, je n’aurais même pas ouvert le roman. Je n’aurais jamais découvert ce petit bijou glacé. Et je ne vous en aurais pas parlé aujourd’hui. Peut-être qu’à la place, je vous aurais parlé du nouveau Grangé, du nouveau Pobi, qui sait ? Du nouveau Millénium, pourquoi pas ? Ça m’aurait fait mal, tiens…
Une contrée paisible et froide, Clayton Lindemuth. Seuil policiers, septembre 2015. 352 p, 21,50 €
Sur le site de l’éditeur