Qui doute encore du formidable potentiel romanesque de la Louisiane ? Ça pourrait être une vraie question, mais j’espère sincèrement qu’elle est rhétorique. Avant d’être une simple région sur une carte, la Louisiane est surtout une esthétique, un mode de vie, un climat, une faune, un exotisme incongru quand on conçoit deux minutes qu’elle est un petit reste de notre vieille France. C’est juste le fruit d’un mélange étrange entre culture française, créole et américaine, une ratatouille au bacon qui semble si familière et si lointaine à la fois, à l’image de ce français parfois incompréhensible de notre côté de l’Atlantique. Et puis les coutumes, le carnaval, les mystères que recèlent le bayou gardé par les alligators. L’abandon total à la nature, la solitude dans une étendue sauvage. Alors franchement, qui doute encore du pouvoir romanesque de cette région ? Elle attire aussi par la misère de ses habitants ayant subi coup sur coup les pires crasses que les États-Unis peuvent offrir, comme un système de santé pourri et des assurances bancales, sauf qu’en plus, ils se prennent des tornades. Vous voulez lire un roman que seuls le dénuement et la cruauté savent engendrer ? Alors laissez-moi vous parler des Mauraudeurs.
L’histoire débute à Jeanette, petite ville ayant subi l’ouragan Katrina en 2005. Une catastrophe ayant dépossédé un bon nombre d’habitants de leurs biens. Quelques dédommagements ridiculement indécents plus tard, la vie a repris son cours tant bien que mal. Le village vit quasi-exclusivement de la pêche à la crevette, et c’est de génération en génération que le métier s’apprend. Sauf que la Louisiane n’a encore rien vu. On est en 2010, et la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon explose, déclenchant une marée noire sans précédent, déversée sur les côtes et le bayou. Les crevettes se raréfient, la vie des pêcheurs en pâtit. Parmi eux, on suit tout à tour plusieurs personnages. Wes Trench, un jeune homme plein d’ambition ayant perdu sa mère pendant Katrina, dont il reprochera sans cesse la mort à son père. Les frères Toup, des jumeaux sociopathes cultivant du cannabis sur une petite île qu’ils défendent violemment. Cosgrove, condamné à des travaux d’intérêt général pour trouble à l’ordre public et qui rencontrera Hanson, un autre repris de justice. Ils finiront par s’associer pour tenter de devenir riche à tout prix, que ce soit en dépouillant des vieilles ou en tentant de mettre la main sur l’herbe des Toup. Il y a également Brady Grimes qui est employé par BP et tente de recueillir les signatures de tous les habitants de Jeanette en échange de l’abandon de toutes poursuites, le problème étant qu’il en est originaire, qu’il l’a quitté pour ses raisons et qu’il déteste ces bouseux. Et pour finir, Lindquist. Le vieux pêcheur manchot accro aux antidouleurs, divorcé, idiot du village vivant dans la déchéance la plus complète, mais poursuivant le rêve de sa vie : trouver le trésor de Jean Lafitte, célèbre pirate ayant vécu dans le coin.
Et là, on touche typiquement à ce qu’il y a de mieux dans la littérature. Le roman social. Les Maraudeurs est une chronique sociale admirablement construite, jonglant entre des personnages tous différents, touchés différemment, et pourtant tous dans le même bateau. Un bateau pourri et délabré qui prendra l’eau le premier coup de vent venu. Katrina a fragilisé cette microsociété de pêcheurs déjà pauvres, l’assurance ne leur remboursant que le tiers de leurs pertes. Quand celles-ci n’étaient que matérielles. Et maintenant, ça. Des vies brisées, ça peut rapidement rester au simple stade de statistiques et de chiffres inscrits sur un chapitre de compte rendu, la seule solution est de les suivre et comprendre leurs galères pour mesurer pleinement à quel point ça pue.
Sauf qu’en plus du roman social déjà plaisant, on touche à d’autres genres tout aussi palpitants. Le roman noir, premièrement, avec les intrigues concernant les Toup. Une touche de légèreté, ensuite, avec la façon dont les habitants sont capables de recevoir Grimes, aussi sincère et avenant que la faucheuse. Et puis le roman d’aventure. Jean Laffitte est toujours présent en fond, que ce soit dans un bouquin que lira Wes sur le bateau de Lindquist ou la quête de Lindquist elle-même, qui frôle l'acharnement. Les éléments contre les hommes et les hommes contre eux-mêmes, voilà ce qui donne un petit aspect d'épopée.
Quant aux personnages, difficile de ne pas les trouver touchants. Si l'on excepte les Toup qui ont franchement une belle dégaine d'enfoirés, chaque personnage est clairement attachant. Ils en ont tous chié à un moment ou à un autre et peu importe si on ne cautionne pas toujours les décisions qui ont suivi, on peut toujours les comprendre. Leur trouver des excuses. Voire les aduler complètement. Mention spéciale à Lindquist, une fois de plus, qui semble le plus abîmé de tous et pas seulement sur le plan physique. Dans sa condition d'idiot du village martyrisé, il est le plus démuni qui soit, il n’a rien ni personne, mais se réjouit de ce que lui apporte sa quête désespérée.
Les Maraudeurs est un roman tellement complet qu’il n’existe pas véritablement d’adjectif pour le qualifier en un seul mot. Quoique, « complet » est parfait. Le roman qui fait rêver de paysages et de « vies simples » loin de l’être, et qui en même temps, motive assez pour ne pas vivre d’un truc aussi aléatoire que la pêche dans une région du monde aux conditions de vie tout aussi hasardeuses. Un roman qui exacerbe notre empathie et titille notre haine, fait virevolter nos rêves de richesse et de gloire tout autant que nos plans machiavéliques pour gagner un maximum de thunes en peu de temps. Les Mauraudeurs n’est pas un livre, c’est un roman. Un vrai.
Les Maraudeurs, Tom Cooper. Albin Michel, mai 2016. 416 p, 22 €.
Sur le site de l’éditeur
L’histoire débute à Jeanette, petite ville ayant subi l’ouragan Katrina en 2005. Une catastrophe ayant dépossédé un bon nombre d’habitants de leurs biens. Quelques dédommagements ridiculement indécents plus tard, la vie a repris son cours tant bien que mal. Le village vit quasi-exclusivement de la pêche à la crevette, et c’est de génération en génération que le métier s’apprend. Sauf que la Louisiane n’a encore rien vu. On est en 2010, et la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon explose, déclenchant une marée noire sans précédent, déversée sur les côtes et le bayou. Les crevettes se raréfient, la vie des pêcheurs en pâtit. Parmi eux, on suit tout à tour plusieurs personnages. Wes Trench, un jeune homme plein d’ambition ayant perdu sa mère pendant Katrina, dont il reprochera sans cesse la mort à son père. Les frères Toup, des jumeaux sociopathes cultivant du cannabis sur une petite île qu’ils défendent violemment. Cosgrove, condamné à des travaux d’intérêt général pour trouble à l’ordre public et qui rencontrera Hanson, un autre repris de justice. Ils finiront par s’associer pour tenter de devenir riche à tout prix, que ce soit en dépouillant des vieilles ou en tentant de mettre la main sur l’herbe des Toup. Il y a également Brady Grimes qui est employé par BP et tente de recueillir les signatures de tous les habitants de Jeanette en échange de l’abandon de toutes poursuites, le problème étant qu’il en est originaire, qu’il l’a quitté pour ses raisons et qu’il déteste ces bouseux. Et pour finir, Lindquist. Le vieux pêcheur manchot accro aux antidouleurs, divorcé, idiot du village vivant dans la déchéance la plus complète, mais poursuivant le rêve de sa vie : trouver le trésor de Jean Lafitte, célèbre pirate ayant vécu dans le coin.
Et là, on touche typiquement à ce qu’il y a de mieux dans la littérature. Le roman social. Les Maraudeurs est une chronique sociale admirablement construite, jonglant entre des personnages tous différents, touchés différemment, et pourtant tous dans le même bateau. Un bateau pourri et délabré qui prendra l’eau le premier coup de vent venu. Katrina a fragilisé cette microsociété de pêcheurs déjà pauvres, l’assurance ne leur remboursant que le tiers de leurs pertes. Quand celles-ci n’étaient que matérielles. Et maintenant, ça. Des vies brisées, ça peut rapidement rester au simple stade de statistiques et de chiffres inscrits sur un chapitre de compte rendu, la seule solution est de les suivre et comprendre leurs galères pour mesurer pleinement à quel point ça pue.
Sauf qu’en plus du roman social déjà plaisant, on touche à d’autres genres tout aussi palpitants. Le roman noir, premièrement, avec les intrigues concernant les Toup. Une touche de légèreté, ensuite, avec la façon dont les habitants sont capables de recevoir Grimes, aussi sincère et avenant que la faucheuse. Et puis le roman d’aventure. Jean Laffitte est toujours présent en fond, que ce soit dans un bouquin que lira Wes sur le bateau de Lindquist ou la quête de Lindquist elle-même, qui frôle l'acharnement. Les éléments contre les hommes et les hommes contre eux-mêmes, voilà ce qui donne un petit aspect d'épopée.
Quant aux personnages, difficile de ne pas les trouver touchants. Si l'on excepte les Toup qui ont franchement une belle dégaine d'enfoirés, chaque personnage est clairement attachant. Ils en ont tous chié à un moment ou à un autre et peu importe si on ne cautionne pas toujours les décisions qui ont suivi, on peut toujours les comprendre. Leur trouver des excuses. Voire les aduler complètement. Mention spéciale à Lindquist, une fois de plus, qui semble le plus abîmé de tous et pas seulement sur le plan physique. Dans sa condition d'idiot du village martyrisé, il est le plus démuni qui soit, il n’a rien ni personne, mais se réjouit de ce que lui apporte sa quête désespérée.
Les Maraudeurs est un roman tellement complet qu’il n’existe pas véritablement d’adjectif pour le qualifier en un seul mot. Quoique, « complet » est parfait. Le roman qui fait rêver de paysages et de « vies simples » loin de l’être, et qui en même temps, motive assez pour ne pas vivre d’un truc aussi aléatoire que la pêche dans une région du monde aux conditions de vie tout aussi hasardeuses. Un roman qui exacerbe notre empathie et titille notre haine, fait virevolter nos rêves de richesse et de gloire tout autant que nos plans machiavéliques pour gagner un maximum de thunes en peu de temps. Les Mauraudeurs n’est pas un livre, c’est un roman. Un vrai.
Les Maraudeurs, Tom Cooper. Albin Michel, mai 2016. 416 p, 22 €.
Sur le site de l’éditeur