Le Québec, la plupart des français l’imaginent comme un paradis glacé, un endroit familier même s'ils n'y ont jamais foutu les pieds, peuplé de gens rigolos surtout quand ils s’énervent, abusant de mots bizarroïdes. Sauf que le Québec, ce n’est pas que ça, et il en a chié. Lorsque les premiers colons ont débarqué, la tête pleine de promesses de terres immenses qui leur appartiendraient, par exemple, avant de se retrouver embarqués dans une traversée tuant la moitié de ceux qui sont partis. Puis se retrouver en octobre face à leurs terres "à eux", oui, mais simplement un immense pan de forêt à déboiser rapidos au risque de crever quelques mois plus tard comme des bouses, sans maison, dans la neige à perte de vue. Devoir en plus se battre contre des iroquois qui veulent leur peau. Se trimballer l’accent de Louis XIV dont les grandes phrases sonnent sûrement mieux à l’écrit. Devoir se faire étriper plusieurs fois entre 1942 et 1945 pour sauver les miches des français et en plus, continuer à se faire moquer par eux. Il y a de quoi devenir dingue. Ou violent. Pas étonnant qu'on y trouve des polars à l’ambiance bien lourde, le désespoir et l’impuissance retranscrits dans des romans noirs parfaits. Ou des sagas familiales plan-plans, mais rien qui nous intéresse ici.
Le roman dont on va parler aujourd’hui est on ne peut plus simple dans son résumé. Bondrée tire son nom d’un lac à la frontière entre le Québec et le Maine, flanqué de denses forêts et d’une petite communauté vivant dans le souvenir de la pendaison de l’un des leurs, Pete Landry, un trappeur pris de folie dont le fantôme effraie encore les enfants tant d’années après. On est en 1967 et c’est l’été, les enfants rient et jouent pour certains, découvrent l’âge adulte pour d’autres. Parmi eux, Zaza Mulligan et Sissi Morgan n’ont pas peur d’exhiber leurs jambes de jeunes filles et faire naître le désir honteux chez les hommes. Pas étonnant que quelques semaines plus tard, on ne s’inquiète pas de la disparition de Zaza, « ce genre de fille », bien que Sissi hurle son nom pour la retrouver. Zaza, on la retrouvera, mais morte, la jambe sectionnée dans l’un des pièges de Pete Landry, ça fait pleurer le village à l’unisson et ressurgir le fantôme du trappeur. On organise une expédition pour débarrasser la forêt de cette plaie, de ce souvenir, plus aucun piège ne doit rester. Plus jamais un autre enfant ne sera emporté aussi jeune, plus jamais ce deuil terrible à Bondrée. Jusqu’à Sissy. Le problème avec les fantômes, c’est qu’ils sont là pour un bout de temps.
Il y a tellement à dire sur la forme, puisque c’est ce qui saute aux yeux dès le début. Le style est magnifique et extrêmement marqué, ce qui fait grandement plaisir. Une langue riche et poétique, tout en finesse, qui peut dérouter au début quand il s’agit de rentrer dans la première dizaine de pages. Mais une fois la vitesse de croisière atteinte, la force du récit nous emporte totalement, tantôt mélancolique, tantôt théâtral, parfois angoissant, un style qui nous fait directement ressentir les émotions bien avant que les mots ne nous atteignent. Mention spéciale au travail sur le mélange d’anglais et de français spécifique à cette région commune à deux peuples – de l’anglais directement incorporé au texte ou du français déformé, l’inverse également – qui rythme et donne de la véracité au récit. Rajoutons à ça la narratrice, Andrée Duchamp, qui nous parle de ces drames en cascades par ses yeux d’enfants de l’époque, impuissants et pleins de questions. Nos sentiments à la lecture s'en trouvent accrus. Côté immersion, on est rodés.
Alors quand l’ambiance crée par Andrée Michaud nous met face à nos propres perversions et nos propres bassesses, comme le regard qu’on peut porter sur les autres, les préjugés et l’hypocrisie, on ne peut qu'éructer de joie. L’enfer de la petite communauté qui vit en huis-clos. Le terreau fertile pour les superstitions et la folie, une cocotte-minute prête à nous sauter à la gueule en nous brûlant une moitié du visage au passage. La métaphore des pièges qui se referment sur les enfants est d’autant plus intelligente est participe au malaise de notre inconscient. Tout est bon dans ce roman, tout est même excellent.
Que peut-on rajouter, alors ? Que la découverte d’une plume comme celle-ci est une obligation ? Que la comparaison avec Twin Peaks faite en quatrième de couverture est justifiée ? On peut peut-être repenser à cette réflexion sur les préjugés qui deviennent dangereux ? Aucune volonté de faire de la politique en lien avec l’actu, c’est simplement que je réalise la portée des clichés de cette introduction et que j’aimerais éviter, si possible, de me mettre à dos mes amis Québécois. Québécois, donc, je vous aime. Vous êtes simplement des gens normaux, comme vous et moi, mais avec un système fiscal exotique et malin. Et je sais de quoi je parle, j’ai un ami Canadien, lui aussi, et j’adore les Têtes à claques et le sirop d’érable. Et puis certains de vos écrivains tabassent, alors merci du fond du cœur.
Bondrée, Andrée Michaud. Rivages, septembre 2016. 330 p, 18,50 €.
Sur le site de l’éditeur
Le roman dont on va parler aujourd’hui est on ne peut plus simple dans son résumé. Bondrée tire son nom d’un lac à la frontière entre le Québec et le Maine, flanqué de denses forêts et d’une petite communauté vivant dans le souvenir de la pendaison de l’un des leurs, Pete Landry, un trappeur pris de folie dont le fantôme effraie encore les enfants tant d’années après. On est en 1967 et c’est l’été, les enfants rient et jouent pour certains, découvrent l’âge adulte pour d’autres. Parmi eux, Zaza Mulligan et Sissi Morgan n’ont pas peur d’exhiber leurs jambes de jeunes filles et faire naître le désir honteux chez les hommes. Pas étonnant que quelques semaines plus tard, on ne s’inquiète pas de la disparition de Zaza, « ce genre de fille », bien que Sissi hurle son nom pour la retrouver. Zaza, on la retrouvera, mais morte, la jambe sectionnée dans l’un des pièges de Pete Landry, ça fait pleurer le village à l’unisson et ressurgir le fantôme du trappeur. On organise une expédition pour débarrasser la forêt de cette plaie, de ce souvenir, plus aucun piège ne doit rester. Plus jamais un autre enfant ne sera emporté aussi jeune, plus jamais ce deuil terrible à Bondrée. Jusqu’à Sissy. Le problème avec les fantômes, c’est qu’ils sont là pour un bout de temps.
Il y a tellement à dire sur la forme, puisque c’est ce qui saute aux yeux dès le début. Le style est magnifique et extrêmement marqué, ce qui fait grandement plaisir. Une langue riche et poétique, tout en finesse, qui peut dérouter au début quand il s’agit de rentrer dans la première dizaine de pages. Mais une fois la vitesse de croisière atteinte, la force du récit nous emporte totalement, tantôt mélancolique, tantôt théâtral, parfois angoissant, un style qui nous fait directement ressentir les émotions bien avant que les mots ne nous atteignent. Mention spéciale au travail sur le mélange d’anglais et de français spécifique à cette région commune à deux peuples – de l’anglais directement incorporé au texte ou du français déformé, l’inverse également – qui rythme et donne de la véracité au récit. Rajoutons à ça la narratrice, Andrée Duchamp, qui nous parle de ces drames en cascades par ses yeux d’enfants de l’époque, impuissants et pleins de questions. Nos sentiments à la lecture s'en trouvent accrus. Côté immersion, on est rodés.
Alors quand l’ambiance crée par Andrée Michaud nous met face à nos propres perversions et nos propres bassesses, comme le regard qu’on peut porter sur les autres, les préjugés et l’hypocrisie, on ne peut qu'éructer de joie. L’enfer de la petite communauté qui vit en huis-clos. Le terreau fertile pour les superstitions et la folie, une cocotte-minute prête à nous sauter à la gueule en nous brûlant une moitié du visage au passage. La métaphore des pièges qui se referment sur les enfants est d’autant plus intelligente est participe au malaise de notre inconscient. Tout est bon dans ce roman, tout est même excellent.
Que peut-on rajouter, alors ? Que la découverte d’une plume comme celle-ci est une obligation ? Que la comparaison avec Twin Peaks faite en quatrième de couverture est justifiée ? On peut peut-être repenser à cette réflexion sur les préjugés qui deviennent dangereux ? Aucune volonté de faire de la politique en lien avec l’actu, c’est simplement que je réalise la portée des clichés de cette introduction et que j’aimerais éviter, si possible, de me mettre à dos mes amis Québécois. Québécois, donc, je vous aime. Vous êtes simplement des gens normaux, comme vous et moi, mais avec un système fiscal exotique et malin. Et je sais de quoi je parle, j’ai un ami Canadien, lui aussi, et j’adore les Têtes à claques et le sirop d’érable. Et puis certains de vos écrivains tabassent, alors merci du fond du cœur.
Bondrée, Andrée Michaud. Rivages, septembre 2016. 330 p, 18,50 €.
Sur le site de l’éditeur