En trente ans, il s’en passe, des choses. Pour certains plus que d’autres, on dirait. Ou peut-être est-ce simplement le fait de les avoir perdus de vue suffisamment longtemps pour tout oublier d’eux. Trente ans, c’est le nombre d’années qui s’est écoulé depuis la dernière aventure du Club des Cinq. On se souvient tous de François, Claude, Mick, Annie et Dagobert, de leur candeur, de leurs aventures improbables à chaque vacances d’été en Bretagne. Seulement voilà, les temps ont changé. François est devenu un commissaire acariâtre, célibataire endurci. Claude s’est finalement trouvée, filant le parfait amour ou presque dans les bras d’une femme de quinze ans de moins qu’elle. Annie est alcoolique, mauvaise mère battant la fille de son troisième mariage. Dagobert est mort, évidemment. Quant à Mick, on apprend qu’il est devenu criminel mais savoir où il se trouve, c’est une autre histoire.
Sur l’invitation de Claude, les trois membres restants se réunissent à la Villa des Mouettes, où résident les deux compagnes et la vieille tante Cécile dont elles doivent s’occuper. L’atmosphère est tendue entre tous, depuis une fameuse aventure jamais racontée et qui plane au-dessus d’eux. Ce qui n’arrange pas les choses, ce sont les rêves éveillés de Claude qui se retrouve en Angleterre, épiée par un étrange club similaire au sien, tentant de communiquer. Ce n’est qu’une impression, mais elle pense que les autres les voient aussi. Mais personne n’en parle. Quand soudain, après une tempête de neige qui isole la villa, la tante Cécile est retrouvée morte étranglée. Le club devra rempiler, même si ce ne sera pas comme avant. Depuis leur dernière aventure, tout à changé à jamais.
Si je voulais vous parler de ce roman aujourd’hui, c’est pour une bonne raison. Je parle souvent de romans étonnants, mais jamais de romans étonnants à ce point. Et comprenons-nous bien dès le début, ce roman n’est pas non plus exceptionnel. C’est un bon roman, point. Mais, et il y a un gros mais. Un mais qui change la donne.
Résumons. Quand on commence Le Club, une impression étrange se fait sentir. La psychologie des personnages est parfaitement établie et on se plaît à retrouver des personnages, des mythes de nos enfances, alors qu’ils sont devenus adultes et que tous n’ont finalement pas changé tant que ça. C’est simplement que leurs caractères se sont exacerbés. François l’aîné, l’autoritaire, le pragmatique, est devenu un flic aigri et déteste d’emblée chaque pièce rapportée au Club, à son Club. Claude le garçon manqué devenue lesbienne, est plus entêtée que jamais. Annie la jeune bécasse du groupe n’a jamais fait preuve de discernement avec les hommes et voilà où elle a fini, alcoolique et mauvaise mère. En un sens, composer avec des personnalités préétablies et les relier entre elles de façon si bien amenée est un exercice remarquable et se lit avec plaisir. Sauf que… Ben l’écriture ne suit pas. C'est trop simpliste, ça tourne un poil en rond, et ça ne fait que mettre en lumière tout ce qui cloche dans l'intrigue. Tout ce qui est surréaliste dans une enquête un peu planplan, comme des personnages disant avoir lu les aventures du Club étant plus jeunes sans parler de qui aurait pu en être l'auteur. Bref, on ne comprend pas trop. On continue de lire pour les personnages.
Quand tout à coup, vient le "mais". Et ceux que le léger spoil dérange (il ne gâchera pas le suspense, mais bon), devront sauter au dernier paragraphe.
Le "mais", donc. Alors que l'on vient de dépasser le tiers du roman, on commence à lire la fameuse aventure jamais racontée. Une aventure sans aventure, où les membres du club se voient passer du stade d'enfant à celui d'ado puis d'adulte en l'espace de quatre jours, bouleversements, ça saigne chez les filles en pleurs et ça bouillonne chez les garçons en rage. François se déchire la vessie en pissant pour la première fois. C'est une catastrophe. Vous le sentez venir ? François, Claude et les autres ne sont pas seulement des personnages du roman, ils sont des personnages de roman. Le style candide et enfantin de l'histoire jamais racontée migre rapidement vers celui employé pour l'âge adulte, toujours un peu simpliste pour en être rapproché. On lit un roman du Club des Cinq et on le sait, juste grâce au style littéraire. Et à ce stade, on commence à piger les incohérences, les trucs un peu étranges qui nous semblaient être des erreurs. En fait, on ne lit pas une enquête policière, on s'y attendait simplement parce que c'était la teneur des romans de Blyton, mais non. Le Club est un roman fantastique, voire un thriller fantastique. Et ça change tout. Tout, vous dis-je. Tout se justifie, le monde se tient. Il faut juste s'y ouvrir.
Et voilà pourquoi la surprise, bon sang ! Tout ce qu'on lisait depuis le début et sur quoi nous déversions nos préjugés, tout cela n'était pas du tout ce que nous croyions. Ce roman n'était pas le genre de roman qu'on pensait à la base. N'est-ce pas ce qu'on appelle une surprise ? Au final, bien que Le Club ne soit pas exceptionnel, il reste un roman bigrement étonnant sur le fond et la forme – y compris lors de la découverte de l'assassin et de ses motivations – tout en dézinguant un pan entier de notre enfance. Les scènes de sexe hardcore entre Claude et Jean-Jacques, le sexe tout court, ou encore la décrépitude totale d'Annie. C'est comme si on crachait littéralement sur un pilier de notre construction tout en lui rendant un hommage vachement intelligent. Du déroulé de l'enquête au jeu entre version française et version originale, personne ne pourra dire que cet hommage n'est ni sincère ni savamment construit, d'ailleurs. La richesse de la littérature, c'est aussi ça. Des surprises, et encore des surprises.
Le Club, Michel Pagel. Les moutons électriques, mars 2016. 160 p,15€
Sur le site de l'éditeur
Sur l’invitation de Claude, les trois membres restants se réunissent à la Villa des Mouettes, où résident les deux compagnes et la vieille tante Cécile dont elles doivent s’occuper. L’atmosphère est tendue entre tous, depuis une fameuse aventure jamais racontée et qui plane au-dessus d’eux. Ce qui n’arrange pas les choses, ce sont les rêves éveillés de Claude qui se retrouve en Angleterre, épiée par un étrange club similaire au sien, tentant de communiquer. Ce n’est qu’une impression, mais elle pense que les autres les voient aussi. Mais personne n’en parle. Quand soudain, après une tempête de neige qui isole la villa, la tante Cécile est retrouvée morte étranglée. Le club devra rempiler, même si ce ne sera pas comme avant. Depuis leur dernière aventure, tout à changé à jamais.
Si je voulais vous parler de ce roman aujourd’hui, c’est pour une bonne raison. Je parle souvent de romans étonnants, mais jamais de romans étonnants à ce point. Et comprenons-nous bien dès le début, ce roman n’est pas non plus exceptionnel. C’est un bon roman, point. Mais, et il y a un gros mais. Un mais qui change la donne.
Résumons. Quand on commence Le Club, une impression étrange se fait sentir. La psychologie des personnages est parfaitement établie et on se plaît à retrouver des personnages, des mythes de nos enfances, alors qu’ils sont devenus adultes et que tous n’ont finalement pas changé tant que ça. C’est simplement que leurs caractères se sont exacerbés. François l’aîné, l’autoritaire, le pragmatique, est devenu un flic aigri et déteste d’emblée chaque pièce rapportée au Club, à son Club. Claude le garçon manqué devenue lesbienne, est plus entêtée que jamais. Annie la jeune bécasse du groupe n’a jamais fait preuve de discernement avec les hommes et voilà où elle a fini, alcoolique et mauvaise mère. En un sens, composer avec des personnalités préétablies et les relier entre elles de façon si bien amenée est un exercice remarquable et se lit avec plaisir. Sauf que… Ben l’écriture ne suit pas. C'est trop simpliste, ça tourne un poil en rond, et ça ne fait que mettre en lumière tout ce qui cloche dans l'intrigue. Tout ce qui est surréaliste dans une enquête un peu planplan, comme des personnages disant avoir lu les aventures du Club étant plus jeunes sans parler de qui aurait pu en être l'auteur. Bref, on ne comprend pas trop. On continue de lire pour les personnages.
Quand tout à coup, vient le "mais". Et ceux que le léger spoil dérange (il ne gâchera pas le suspense, mais bon), devront sauter au dernier paragraphe.
Le "mais", donc. Alors que l'on vient de dépasser le tiers du roman, on commence à lire la fameuse aventure jamais racontée. Une aventure sans aventure, où les membres du club se voient passer du stade d'enfant à celui d'ado puis d'adulte en l'espace de quatre jours, bouleversements, ça saigne chez les filles en pleurs et ça bouillonne chez les garçons en rage. François se déchire la vessie en pissant pour la première fois. C'est une catastrophe. Vous le sentez venir ? François, Claude et les autres ne sont pas seulement des personnages du roman, ils sont des personnages de roman. Le style candide et enfantin de l'histoire jamais racontée migre rapidement vers celui employé pour l'âge adulte, toujours un peu simpliste pour en être rapproché. On lit un roman du Club des Cinq et on le sait, juste grâce au style littéraire. Et à ce stade, on commence à piger les incohérences, les trucs un peu étranges qui nous semblaient être des erreurs. En fait, on ne lit pas une enquête policière, on s'y attendait simplement parce que c'était la teneur des romans de Blyton, mais non. Le Club est un roman fantastique, voire un thriller fantastique. Et ça change tout. Tout, vous dis-je. Tout se justifie, le monde se tient. Il faut juste s'y ouvrir.
Et voilà pourquoi la surprise, bon sang ! Tout ce qu'on lisait depuis le début et sur quoi nous déversions nos préjugés, tout cela n'était pas du tout ce que nous croyions. Ce roman n'était pas le genre de roman qu'on pensait à la base. N'est-ce pas ce qu'on appelle une surprise ? Au final, bien que Le Club ne soit pas exceptionnel, il reste un roman bigrement étonnant sur le fond et la forme – y compris lors de la découverte de l'assassin et de ses motivations – tout en dézinguant un pan entier de notre enfance. Les scènes de sexe hardcore entre Claude et Jean-Jacques, le sexe tout court, ou encore la décrépitude totale d'Annie. C'est comme si on crachait littéralement sur un pilier de notre construction tout en lui rendant un hommage vachement intelligent. Du déroulé de l'enquête au jeu entre version française et version originale, personne ne pourra dire que cet hommage n'est ni sincère ni savamment construit, d'ailleurs. La richesse de la littérature, c'est aussi ça. Des surprises, et encore des surprises.
Le Club, Michel Pagel. Les moutons électriques, mars 2016. 160 p,15€
Sur le site de l'éditeur