Je hais beaucoup de choses dans le polar, je hais les mêmes choses dans toute la littérature générale de toute façon, je hais ces mêmes choses que beaucoup de gens s’accordent à dire qu’il détestent, y compris ceux qui sont incapables de faire la différence entre un bon et un mauvais bouquin et qui se gavent de codes nuls à chier, tout persuadés qu’ils sont que chaque histoire doit remplir une somme de conditions et de personnages lambda pour être une bonne histoire. Merde, même si je suis le premier à admettre que les goûts littéraires sont subjectifs, même malgré ça, c’est vraiment dégueulasse : je hais savoir ce qui se passe. Je déteste aussi ne pas comprendre ce que je lis, bien évidemment, mais je préfère de loin un livre dont j’ai du mal à saisir ce qui, putain, est en train de se passer – quitte à ce que ce soit un gros nanar sans queue ni tête et dans ce cas, je suis le premier à me bidonner – plutôt que d’avoir le sentiment d’avoir lu ce personnage des milliers de fois et savoir exactement comment tout ça va se résoudre. C’est pourquoi, quand j’ai l’occasion de tomber sur un livre absolument compréhensible, qui me prouve que tout ce à quoi je m’attendais successivement n’était qu’une blague, je sais reconnaître que je ne suis qu’un heureux lecteur, un honnête lecteur et rien de plus, qui vient de se faire balader par un livre bien construit qui tient toutes les promesses qu’on attend de lui : nous embarquer, et nous surprendre. Bordel.
Les Infâmes, oui. Titre français auquel je ne me suis toujours pas fait parce qu’il n’a absolument rien à voir avec le livre. Sérieusement, ça ne vient même pas d’un poil de seconde de dialogue. Mais bref, Freedom’s Child (dans sa langue originale) est l’histoire de Freedom Oliver, une femme approchant la quarantaine, belle rousse couverte de tatouages, adepte du jean/rangers, qui passe ses jours et une partie de ses nuits à bosser comme serveuse au Whammy Bar, le genre de bar rock où affluent les clubs de bikers et rockeurs paumés en tout genre. Freedom est alcoolique au dernier degré. Et suicidaire, comme le prouve sa « tirelire à suicide », gros bocal dans lequel elle épargne lentement les médicaments qu’elle est censée prendre. Elle boit, toujours, tout le temps, jusqu’à se faire récupérer par les deux mêmes flics qui la recouchent quand ils le peuvent. Pourquoi ces égards ? Parce que Freedom ne s’appelle pas Freedom. Elle est bénéficiaire du programme de protection des témoins suite à son procès pour le meurtre de son mari, un flic, qu’elle a fini par gagner après quelques années de prison. Beau tableau qui lui vaut la méfiance et les insultes de tout le monde chez elle, et surtout des shérifs. Superbe tableau quand on comprend que Freedom a perdu ses deux enfants, retirés juste avant le procès et confiés à une famille religieuse du Kentucky, un fils et une fille qu’elle n’a tenue dans ses bras que deux minutes et dix-sept secondes. La totale. Un jour, Freedom tape le nom de ses enfants sur Google, c’est ce qu’elle fait pour les suivre et avoir de leurs nouvelles. C’est là qu’elle apprend. Sa fille Rebekah a disparu.
Et là, bon sang, je dois dire que j’ai dévoré ce livre en presque une journée. Il faut dire qu’il y a tout pour que ça marche, l’écriture est superbe, à la première personne quand Freedom parle, et à la troisième le reste du temps. Du coup, on est tout de suite happé par le personnage, on se met à sa misérable place et on a envie de surveiller ses arrières quand elle part en croisade. C’est le procédé tout ce qu’il y a de plus con par excellence, mais c’est si efficace quand c’est bien fait. D’autant que Freedom est un personnage tellement ambigu, le genre de la meilleure amie qu’on a envie de gifler quand elle fait n’importe quoi avec sa boîte à pharmacie, et qu’on voudrait réconforter quand elle donne tout sans résultat. Et puis il y a un truc qui m’a frappé. Par son langage, sa ténacité, sa condition (serveuse dans un bar de bikers, on doit avoir des couilles quand il en faut), Freedom est un personnage qui a du potentiel pour ce genre d’histoire, celle dans laquelle une femme part chercher quelqu’un d’autre, sa fille en l’occurrence, quand quelqu’un est après elle. J’en ai absolument raz-le-casque des thrillers dans lesquels les héroïnes sont des bourges américaines empotées qui découvrent le maniement d’un flingue en trois minutes pour partir mener leur enquête. J’en ai lu un de ce genre pour cette rentrée, d’ailleurs, que je vous déconseille : Amelia, de Kimberly McCreight, que j’ai laissé tomber avant de vomir ou de me tirer une balle. Non, à l’inverse, Freedom est le genre de personnage qui a un background suffisant pour la rendre crédible dans ce qu’elle fait.
Alors, évidemment, en tant que premier roman, Freedom’s Child compte quand même pas mal d’erreurs qui passent pour un simple manque de rodage. Par exemple, lorsque chaque chapitre raconté par Freedom commence par « Je m’appelle Freedom et […] ». Ce qui tape forcément assez rapidement sur les nerfs, mais le paragraphe qui suit va toujours rattraper tout ça, grâce au style de Jax Miller. On y trouve aussi des personnages un peu caricaturaux que je ne donnerai pas en exemple pour ne pas spoiler, mais encore une fois, c’est dans sa globalité qu’il faut prendre le livre. Il est alors une tentative vachement honnête pour un premier roman, plus que ça, même, et qui donne fichtrement envie de voir ce que donnera la suite de la carrière de Miller.
Parce que quand même, ce livre est ultra prenant. C’est souvent le cas pour les thrillers basés sur des courses contre la montre pour retrouver des personnes enlevées, surtout quand les personnages ne sont pas de la police et doivent faire appel à la débrouille pour ça, mais celui-ci m’emballe tellement plus. Je pense que je ne suis pas trop objectif et que le milieu de Freedom m’est déjà plus familier, mais je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il y a d’autres raisons. L’écriture est suffisamment sombre pour prendre aux tripes et s’adresser directement à nos émotions. Et puis…
Et puis, en fait, je crois que ce qu’il m’emballe le plus, et j’essaie d’en parler sans trop en parler depuis le début, c’est surtout que… c’est vraiment dur à expliquer sans raconter la fin, vraiment. Disons simplement que la raison pour laquelle je respecte autant le livre et l’intrigue est surtout venue après la fin de ma lecture. Je ne dirai rien de plus. Ce serait un crime. Mais vous l’aurez compris, Freedom’s Child, ou Les Infâmes en français est un de mes gros « coups de Cul » de la rentrée littéraire 2015 à bien des égards. Je ne peux que vous convier à sa lecture et à vous faire votre propre idée, aussi exigeante soit-elle. Je l’ai dit, je reconnais que les goûts en matière de romans sont un jugement subjectif. Cependant, je peux vous assurer que vous passerez un bon moment. De toute façon, dites-vous que vous ne pourrez jamais vous faire autant chier que devant Amelia.
Les Infâmes, Jax Miller. Ombres noires, septembre 2015. 352 p, 21 €
Sur le site de l’éditeur
Les Infâmes, oui. Titre français auquel je ne me suis toujours pas fait parce qu’il n’a absolument rien à voir avec le livre. Sérieusement, ça ne vient même pas d’un poil de seconde de dialogue. Mais bref, Freedom’s Child (dans sa langue originale) est l’histoire de Freedom Oliver, une femme approchant la quarantaine, belle rousse couverte de tatouages, adepte du jean/rangers, qui passe ses jours et une partie de ses nuits à bosser comme serveuse au Whammy Bar, le genre de bar rock où affluent les clubs de bikers et rockeurs paumés en tout genre. Freedom est alcoolique au dernier degré. Et suicidaire, comme le prouve sa « tirelire à suicide », gros bocal dans lequel elle épargne lentement les médicaments qu’elle est censée prendre. Elle boit, toujours, tout le temps, jusqu’à se faire récupérer par les deux mêmes flics qui la recouchent quand ils le peuvent. Pourquoi ces égards ? Parce que Freedom ne s’appelle pas Freedom. Elle est bénéficiaire du programme de protection des témoins suite à son procès pour le meurtre de son mari, un flic, qu’elle a fini par gagner après quelques années de prison. Beau tableau qui lui vaut la méfiance et les insultes de tout le monde chez elle, et surtout des shérifs. Superbe tableau quand on comprend que Freedom a perdu ses deux enfants, retirés juste avant le procès et confiés à une famille religieuse du Kentucky, un fils et une fille qu’elle n’a tenue dans ses bras que deux minutes et dix-sept secondes. La totale. Un jour, Freedom tape le nom de ses enfants sur Google, c’est ce qu’elle fait pour les suivre et avoir de leurs nouvelles. C’est là qu’elle apprend. Sa fille Rebekah a disparu.
Et là, bon sang, je dois dire que j’ai dévoré ce livre en presque une journée. Il faut dire qu’il y a tout pour que ça marche, l’écriture est superbe, à la première personne quand Freedom parle, et à la troisième le reste du temps. Du coup, on est tout de suite happé par le personnage, on se met à sa misérable place et on a envie de surveiller ses arrières quand elle part en croisade. C’est le procédé tout ce qu’il y a de plus con par excellence, mais c’est si efficace quand c’est bien fait. D’autant que Freedom est un personnage tellement ambigu, le genre de la meilleure amie qu’on a envie de gifler quand elle fait n’importe quoi avec sa boîte à pharmacie, et qu’on voudrait réconforter quand elle donne tout sans résultat. Et puis il y a un truc qui m’a frappé. Par son langage, sa ténacité, sa condition (serveuse dans un bar de bikers, on doit avoir des couilles quand il en faut), Freedom est un personnage qui a du potentiel pour ce genre d’histoire, celle dans laquelle une femme part chercher quelqu’un d’autre, sa fille en l’occurrence, quand quelqu’un est après elle. J’en ai absolument raz-le-casque des thrillers dans lesquels les héroïnes sont des bourges américaines empotées qui découvrent le maniement d’un flingue en trois minutes pour partir mener leur enquête. J’en ai lu un de ce genre pour cette rentrée, d’ailleurs, que je vous déconseille : Amelia, de Kimberly McCreight, que j’ai laissé tomber avant de vomir ou de me tirer une balle. Non, à l’inverse, Freedom est le genre de personnage qui a un background suffisant pour la rendre crédible dans ce qu’elle fait.
Alors, évidemment, en tant que premier roman, Freedom’s Child compte quand même pas mal d’erreurs qui passent pour un simple manque de rodage. Par exemple, lorsque chaque chapitre raconté par Freedom commence par « Je m’appelle Freedom et […] ». Ce qui tape forcément assez rapidement sur les nerfs, mais le paragraphe qui suit va toujours rattraper tout ça, grâce au style de Jax Miller. On y trouve aussi des personnages un peu caricaturaux que je ne donnerai pas en exemple pour ne pas spoiler, mais encore une fois, c’est dans sa globalité qu’il faut prendre le livre. Il est alors une tentative vachement honnête pour un premier roman, plus que ça, même, et qui donne fichtrement envie de voir ce que donnera la suite de la carrière de Miller.
Parce que quand même, ce livre est ultra prenant. C’est souvent le cas pour les thrillers basés sur des courses contre la montre pour retrouver des personnes enlevées, surtout quand les personnages ne sont pas de la police et doivent faire appel à la débrouille pour ça, mais celui-ci m’emballe tellement plus. Je pense que je ne suis pas trop objectif et que le milieu de Freedom m’est déjà plus familier, mais je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il y a d’autres raisons. L’écriture est suffisamment sombre pour prendre aux tripes et s’adresser directement à nos émotions. Et puis…
Et puis, en fait, je crois que ce qu’il m’emballe le plus, et j’essaie d’en parler sans trop en parler depuis le début, c’est surtout que… c’est vraiment dur à expliquer sans raconter la fin, vraiment. Disons simplement que la raison pour laquelle je respecte autant le livre et l’intrigue est surtout venue après la fin de ma lecture. Je ne dirai rien de plus. Ce serait un crime. Mais vous l’aurez compris, Freedom’s Child, ou Les Infâmes en français est un de mes gros « coups de Cul » de la rentrée littéraire 2015 à bien des égards. Je ne peux que vous convier à sa lecture et à vous faire votre propre idée, aussi exigeante soit-elle. Je l’ai dit, je reconnais que les goûts en matière de romans sont un jugement subjectif. Cependant, je peux vous assurer que vous passerez un bon moment. De toute façon, dites-vous que vous ne pourrez jamais vous faire autant chier que devant Amelia.
Les Infâmes, Jax Miller. Ombres noires, septembre 2015. 352 p, 21 €
Sur le site de l’éditeur