Aujourd’hui, chers amis, je ne vais pas traîner. Les intros, ça va bien cinq minutes, mais bon. Le livre dont on va parler aujourd’hui est tellement parfait, si incroyable en si peu de pages qu’il vaut mieux qu’on s’y mette tout de suite. Et non, je ne survends pas, bordel. N’essayez pas de me distraire avec vos remarques ! Vous connaissez Ken Liu ? Si ce n’est pas le cas, faites-moi plaisir : lisez La Ménagerie de papier si vous aimez les nouvelles, et lisez L’Homme qui mit fin à l’Histoire de toute manière.
L’Homme qui mit fin à l’Histoire, comme son sous-titre l’indique, est un documentaire. Un documentaire télévisé avec ses intervenants dont le nom et la qualité s’affichent en bas de l’écran, tous là pour parler d’Evan Wei, reconstituer son histoire, celle d’un scientifique sino-américain qui, avec l’aide de sa femme physicienne d’origine japonaise, a mis au point un procédé qui changerait très vite la face du monde. Désormais, il est possible de « voyager dans le temps », ou peu s’en faut. Disons plutôt que l’invention de Wei permet à une personne choisie de revivre des bribes du passé, comme une illusion dans laquelle notre corps n’existe pas, et évolue pourtant à travers les faits historiques. Pas d’altération de la ligne spatio-temporelle comme dans les romans de science-fiction, puisque nous n’existions pas là-bas, notre présence ne peut pas affecter le cours des évènements. Enfin, si, d’une certaine façon, et pas des moindres. Une fois un certain segment du passé visité, celui-ci s’efface à jamais.
Le but du professeur Wei, la raison qui le motive à créer ce procédé, est noble. Wei découvrit un jour les agissements du Japon pendant la guerre sino-japonaise de 1937. Plus particulièrement de l’Unité 731, créée sous mandat impérial japonais, dont le but fut de mener des expériences en Mandchourie sur des prisonniers civils et militaires chinois, comme des vivisections sans anesthésie, des études sur les MST, la peste ou le typhus, des expériences parfois pires que celles menées par les nazis en camps de la mort. Extrêmement touché par cette histoire et blessé par l’absence d’excuses publiques du Japon, Wei décide de mettre le monde devant le fait accompli en envoyant des visiteurs dans des camps de l’Unité 731. Seulement voilà, au lieu d’envoyer des historiens, plus habilités à exploiter cette ressource à usage unique, il choisit d’envoyer des membres de familles de prisonniers, qu’il juge plus légitimes dans la quête de vérité. Évidemment, viennent les tollés médiatiques, les conflits politiques entre Chine et Japon voire entre Chine, Japon et pays observateurs, tous apeurés à l’idée de voir leurs propres secrets d’État révélés, leur sang sur les mains montré à la planète entière. L’invention de Wei fut ce qu’elle devait être : un bouleversement. Malheureusement pas celui qu’il espérait.
Et bon sang, laissez-moi vous dire que vous allez prendre une leçon. D’Histoire, déjà, puisque le voyage dans le temps est un tel prétexte qu’on s’en bat vigoureusement les couilles. Le format reportage de cette novella est parfait pour une enquête sur les exactions de l’Unité 731, une prise de conscience terrible à la fois des faits et de ce qui en découle presque quatre-vingt-dix ans plus tard. La parole est donnée aux familles des victimes, aux victimes elles-mêmes, aux bourreaux repentis ou non, un travail dingue d’enquête de la part de Ken Liu. Ou de restitution d’enquête. Le genre de truc qui prend tellement d’importance que le voyage dans le temps, on s’en cogne, comme je le disais.
Enfin, pas tout à fait. L’autre coup de génie est la réflexion autour du voyage dans le temps. Qu’est-ce qu’il implique, en gros. Par exemple, juridiquement parlant : vous visitez un pan d’histoire de l’Alsace à la fin du XIXè siècle. À qui appartient ce morceau ? Au pays de l’époque, à savoir l’Allemagne ? Ou au pays qui la régit aujourd’hui, donc la France ? Et ce n’est qu’une des nombreuses trouvailles de ce roman. Les réactions des gouvernements, les commissions, les procès, tout est d’une véracité absolue et Ken Liu est juste épatant de justesse dans un livre foutrement dense en seulement cent pages.
Il y a des livres sur ce blog qui m’ont emporté, qui m’ont extasié au point de cramer mon propre dictionnaire et de déclencher l’avalanche de métaphores à base de têtards et de caca que vous connaissez. Des livres qui m’ont donné envie de hurler et de hurler sans cesse les raisons multiples pour lesquelles il fallait les lire, ce pourquoi ces livres méritaient le titre de chef d’œuvre. L’Homme qui mit fin à l’Histoire semble déjà être une catégorie au-dessus. De ceux qui me laissent sans voix. Et je pense que ça doit vous faire du bien.
Ce court roman est l’œuvre d’un génie. Si vous ne le lisez pas, vous le regretterez autant que votre première fois. Alors, je ne pourrai rien pour vous et j’en suis désolé.
Cordialement,
L’Homme qui mit fin à l’Histoire : Un documentaire, Ken Liu. Le Bélial’, août 2016. 112 p, 8,90 €.
Sur le site de l’éditeur
L’Homme qui mit fin à l’Histoire, comme son sous-titre l’indique, est un documentaire. Un documentaire télévisé avec ses intervenants dont le nom et la qualité s’affichent en bas de l’écran, tous là pour parler d’Evan Wei, reconstituer son histoire, celle d’un scientifique sino-américain qui, avec l’aide de sa femme physicienne d’origine japonaise, a mis au point un procédé qui changerait très vite la face du monde. Désormais, il est possible de « voyager dans le temps », ou peu s’en faut. Disons plutôt que l’invention de Wei permet à une personne choisie de revivre des bribes du passé, comme une illusion dans laquelle notre corps n’existe pas, et évolue pourtant à travers les faits historiques. Pas d’altération de la ligne spatio-temporelle comme dans les romans de science-fiction, puisque nous n’existions pas là-bas, notre présence ne peut pas affecter le cours des évènements. Enfin, si, d’une certaine façon, et pas des moindres. Une fois un certain segment du passé visité, celui-ci s’efface à jamais.
Le but du professeur Wei, la raison qui le motive à créer ce procédé, est noble. Wei découvrit un jour les agissements du Japon pendant la guerre sino-japonaise de 1937. Plus particulièrement de l’Unité 731, créée sous mandat impérial japonais, dont le but fut de mener des expériences en Mandchourie sur des prisonniers civils et militaires chinois, comme des vivisections sans anesthésie, des études sur les MST, la peste ou le typhus, des expériences parfois pires que celles menées par les nazis en camps de la mort. Extrêmement touché par cette histoire et blessé par l’absence d’excuses publiques du Japon, Wei décide de mettre le monde devant le fait accompli en envoyant des visiteurs dans des camps de l’Unité 731. Seulement voilà, au lieu d’envoyer des historiens, plus habilités à exploiter cette ressource à usage unique, il choisit d’envoyer des membres de familles de prisonniers, qu’il juge plus légitimes dans la quête de vérité. Évidemment, viennent les tollés médiatiques, les conflits politiques entre Chine et Japon voire entre Chine, Japon et pays observateurs, tous apeurés à l’idée de voir leurs propres secrets d’État révélés, leur sang sur les mains montré à la planète entière. L’invention de Wei fut ce qu’elle devait être : un bouleversement. Malheureusement pas celui qu’il espérait.
Et bon sang, laissez-moi vous dire que vous allez prendre une leçon. D’Histoire, déjà, puisque le voyage dans le temps est un tel prétexte qu’on s’en bat vigoureusement les couilles. Le format reportage de cette novella est parfait pour une enquête sur les exactions de l’Unité 731, une prise de conscience terrible à la fois des faits et de ce qui en découle presque quatre-vingt-dix ans plus tard. La parole est donnée aux familles des victimes, aux victimes elles-mêmes, aux bourreaux repentis ou non, un travail dingue d’enquête de la part de Ken Liu. Ou de restitution d’enquête. Le genre de truc qui prend tellement d’importance que le voyage dans le temps, on s’en cogne, comme je le disais.
Enfin, pas tout à fait. L’autre coup de génie est la réflexion autour du voyage dans le temps. Qu’est-ce qu’il implique, en gros. Par exemple, juridiquement parlant : vous visitez un pan d’histoire de l’Alsace à la fin du XIXè siècle. À qui appartient ce morceau ? Au pays de l’époque, à savoir l’Allemagne ? Ou au pays qui la régit aujourd’hui, donc la France ? Et ce n’est qu’une des nombreuses trouvailles de ce roman. Les réactions des gouvernements, les commissions, les procès, tout est d’une véracité absolue et Ken Liu est juste épatant de justesse dans un livre foutrement dense en seulement cent pages.
Il y a des livres sur ce blog qui m’ont emporté, qui m’ont extasié au point de cramer mon propre dictionnaire et de déclencher l’avalanche de métaphores à base de têtards et de caca que vous connaissez. Des livres qui m’ont donné envie de hurler et de hurler sans cesse les raisons multiples pour lesquelles il fallait les lire, ce pourquoi ces livres méritaient le titre de chef d’œuvre. L’Homme qui mit fin à l’Histoire semble déjà être une catégorie au-dessus. De ceux qui me laissent sans voix. Et je pense que ça doit vous faire du bien.
Ce court roman est l’œuvre d’un génie. Si vous ne le lisez pas, vous le regretterez autant que votre première fois. Alors, je ne pourrai rien pour vous et j’en suis désolé.
Cordialement,
L’Homme qui mit fin à l’Histoire : Un documentaire, Ken Liu. Le Bélial’, août 2016. 112 p, 8,90 €.
Sur le site de l’éditeur