Juste un mot sur la période que je viens de traverser. Bon, on s'est bien poilé avec Anus Beauté, on a adoré le second degré hallucinant de Preacher et on a été agréablement surpris par la légèreté touchante d'Aphrodite et vieilles dentelles, mais le polar, qu'en est-il ? Si vous suivez ce blog depuis un certain temps, vous serez capable de me ressortir mon mantra dans la gueule : "oui mais le genre du Noir est partout, le polar est un ensemble complexe et beaucoup d'œuvres en utilisent les codes". A ceux qui me répondraient ça, je leur fais un immense bisou là où ils le souhaitent. C'est vrai. D'ailleurs, excepté le côté nanar au bestiaire fantastique un peu foutoir de Preacher, ça a des airs de superbe roman noir. Un prêtre alcoolique qui n'a jamais trouvé la foi et qui crache ses griefs contre Dieu, c'est évident. Mais le fait est là, je n'ai pas réussi à lire de véritables polars au sens strict du terme depuis un bon mois et le fautif, vous le connaissez. Skagboys m'a tué. Skagboys m'a fait un effet que je n'avais pas connu depuis longtemps, celui de se poser tellement haut qu'il éclipse tout le reste. Ce qui suit est fade, ce qui suit nous fait aussi envie qu'une tournante avec des siamois trisomiques. Mais permettez-moi de me réjouir, car le livre d'aujourd'hui était suffisamment burné pour me donner envie de continuer, et suffisamment bien écrit pour satisfaire mon hypothalamus en souffrance. Laissez-moi vous parler de Dodgers.
Commençons par le début. Le héros... pardon, le personnage principal est un jeune garçon du nom d’East, quinze ans, chef d'équipe de guetteurs pour un repaire dealant de la drogue. Une "taule", qu'on appelle ça. Il a beau avoir quinze ans, East est un jeune homme mature et intelligent, donc un très bon élément. Ça fait même plusieurs années qu'il bosse pour cette taule et son poste à responsabilité prouve qu'on peut avoir confiance en lui. Seulement voilà, pendant l'un de ses tours de garde, la police débarque sans que personne de son équipe ne le prévienne. La taule est rapidement perdue. Ça pue pour lui, à vrai dire. On l'amène devant le boss qui se trouve être son oncle, mais ce n'est pas pour ça qu'il va forcément s'en sortir. En fait, il lui propose un deal. Un dernier job. Traverser la moitié des États-Unis en bagnole pour tuer un témoin gênant dans un procès contre son oncle. East accepte sans hésiter. Il aurait peut-être dû, car il se retrouvera en mission avec deux branques impossibles à gérer ainsi que Ty, son petit frère de douze ans et véritable psychopathe, maniaque des armes et expert dans l'art d'intimider, tuer, tout ce qui ferait de lui un allié précieux s'il n'était pas un cavalier solitaire haïssant son frère.
Le principe est déjà génial. Un road trip en camionnette à travers plus de sept états pour éliminer un homme dont on ne connaît rien. Un personnage à l'opposé de ceux qu'on suit la plupart du temps. Un jeune homme qui découvre autre chose que le ghetto et la tâche de gérer une équipe sans en être le chef. Un genre de quête initiatique qui a mal tourné, en somme. Alors que le roman démarre fort et vite, on est jeté dans la fosse aux lions sans avoir pu dire un mot. Ça s'enchaîne, ça dégaine et ça craint dès le début. Puis commence la traversée du pays. Et là, le rythme ralentit. Pour notre plus grand bonheur d'ailleurs, puisque ça rajoute à la tension qui pèse sur l'équipée. Ils n'ont pas de téléphone, pas d'armes, juste une somme limitée en cash et des instructions qu'ils semblent avoir par morceaux, chacun un bout. La camionnette commence à devenir étrangement étroite et l'ambiance pesante du huis-clos se fait sentir. Ce ne sont que des jeunes paumés livrés à eux-mêmes, et rien de bon ne peut en sortir.
D'ailleurs, parlons du personnage principal. Il est jeune, perdu, embrigadé, certes, mais pas seulement. Dans cette équipe de tarés finis, il est le seul à faire preuve d'une maturité et d'une droiture qu'on attribue habituellement... aux héros. Alors qu'on parle quand même d'un gamin bossant pour le trafic de drogue, c'est même là où va sa loyauté. On peut toujours trouver des excuses vu que c'est un gamin embrigadé mais non, stop. Il est intelligent, courageux, il a accepté directement de tuer quelqu'un pour redorer son image et durant tout le trajet, la moindre de ses actions est dédiée à sa tâche. C'est un tueur. Et pourtant, on a du mal à y croire, parce qu'il a des valeurs, les pieds sur terre et qu'il faut bien qu'on s'identifie à quelqu'un. Il veut faire le job, rien de plus. Et ce n'est qu'au fil du voyage qu'on découvre ses faiblesses. Il ne connaît rien d'autre que le ghetto, la campagne et la route sont une expérience difficile pour lui. Il est vulnérable, presque touchant et son ambivalence bienvenue fait plaisir.
Dodgers était le livre parfait pour me redonner goût au roman après Skagboys. Il est très bien écrit, il est complexe et réfléchi, il pose des questions et joue avec les sentiments du lecteur, tout ce pourquoi on continue aujourd’hui de lire des livres. Je n’ai même pas assez insisté sur le fait qu’il est vachement bien écrit. Je n’ai pas assez insisté sur tout, en fait, mais la place commence à manquer. Je vais donc conclure en vous encourageant vivement à dévorer ce roman noir dès que possible, à l’apprécier à sa juste valeur et, si vous avez le temps, de vous occuper encore plus sérieusement de vos enfants. Ils ont l’air innocents, comme ça, mais on ne sait jamais vraiment comment ils vont tourner.
Dodgers, Bill Beverly. Seuil, mai 2016. 352 p, 19.50 €.
Sur le site de l’éditeur
Commençons par le début. Le héros... pardon, le personnage principal est un jeune garçon du nom d’East, quinze ans, chef d'équipe de guetteurs pour un repaire dealant de la drogue. Une "taule", qu'on appelle ça. Il a beau avoir quinze ans, East est un jeune homme mature et intelligent, donc un très bon élément. Ça fait même plusieurs années qu'il bosse pour cette taule et son poste à responsabilité prouve qu'on peut avoir confiance en lui. Seulement voilà, pendant l'un de ses tours de garde, la police débarque sans que personne de son équipe ne le prévienne. La taule est rapidement perdue. Ça pue pour lui, à vrai dire. On l'amène devant le boss qui se trouve être son oncle, mais ce n'est pas pour ça qu'il va forcément s'en sortir. En fait, il lui propose un deal. Un dernier job. Traverser la moitié des États-Unis en bagnole pour tuer un témoin gênant dans un procès contre son oncle. East accepte sans hésiter. Il aurait peut-être dû, car il se retrouvera en mission avec deux branques impossibles à gérer ainsi que Ty, son petit frère de douze ans et véritable psychopathe, maniaque des armes et expert dans l'art d'intimider, tuer, tout ce qui ferait de lui un allié précieux s'il n'était pas un cavalier solitaire haïssant son frère.
Le principe est déjà génial. Un road trip en camionnette à travers plus de sept états pour éliminer un homme dont on ne connaît rien. Un personnage à l'opposé de ceux qu'on suit la plupart du temps. Un jeune homme qui découvre autre chose que le ghetto et la tâche de gérer une équipe sans en être le chef. Un genre de quête initiatique qui a mal tourné, en somme. Alors que le roman démarre fort et vite, on est jeté dans la fosse aux lions sans avoir pu dire un mot. Ça s'enchaîne, ça dégaine et ça craint dès le début. Puis commence la traversée du pays. Et là, le rythme ralentit. Pour notre plus grand bonheur d'ailleurs, puisque ça rajoute à la tension qui pèse sur l'équipée. Ils n'ont pas de téléphone, pas d'armes, juste une somme limitée en cash et des instructions qu'ils semblent avoir par morceaux, chacun un bout. La camionnette commence à devenir étrangement étroite et l'ambiance pesante du huis-clos se fait sentir. Ce ne sont que des jeunes paumés livrés à eux-mêmes, et rien de bon ne peut en sortir.
D'ailleurs, parlons du personnage principal. Il est jeune, perdu, embrigadé, certes, mais pas seulement. Dans cette équipe de tarés finis, il est le seul à faire preuve d'une maturité et d'une droiture qu'on attribue habituellement... aux héros. Alors qu'on parle quand même d'un gamin bossant pour le trafic de drogue, c'est même là où va sa loyauté. On peut toujours trouver des excuses vu que c'est un gamin embrigadé mais non, stop. Il est intelligent, courageux, il a accepté directement de tuer quelqu'un pour redorer son image et durant tout le trajet, la moindre de ses actions est dédiée à sa tâche. C'est un tueur. Et pourtant, on a du mal à y croire, parce qu'il a des valeurs, les pieds sur terre et qu'il faut bien qu'on s'identifie à quelqu'un. Il veut faire le job, rien de plus. Et ce n'est qu'au fil du voyage qu'on découvre ses faiblesses. Il ne connaît rien d'autre que le ghetto, la campagne et la route sont une expérience difficile pour lui. Il est vulnérable, presque touchant et son ambivalence bienvenue fait plaisir.
Dodgers était le livre parfait pour me redonner goût au roman après Skagboys. Il est très bien écrit, il est complexe et réfléchi, il pose des questions et joue avec les sentiments du lecteur, tout ce pourquoi on continue aujourd’hui de lire des livres. Je n’ai même pas assez insisté sur le fait qu’il est vachement bien écrit. Je n’ai pas assez insisté sur tout, en fait, mais la place commence à manquer. Je vais donc conclure en vous encourageant vivement à dévorer ce roman noir dès que possible, à l’apprécier à sa juste valeur et, si vous avez le temps, de vous occuper encore plus sérieusement de vos enfants. Ils ont l’air innocents, comme ça, mais on ne sait jamais vraiment comment ils vont tourner.
Dodgers, Bill Beverly. Seuil, mai 2016. 352 p, 19.50 €.
Sur le site de l’éditeur